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L’utilisation de médiateurs thérapeutiques modifie-t-elle la représentation de la fonction soignante ?

La journée est introduite par Nadine Chastagnol, coordonnatrice générale des soins, qui brosse à grands traits le principe de médiation thérapeutique et ses implications sur la fonction soignante.

Le principe actif en psychiatrie, c’est moins le médicament que la relation du soignant et au soigné. Le soignant dispose de la possibilité de médiatiser cette relation pour la favoriser. Avant de mettre en place une médiation, il faut répondre à quelques questions essentielles.


Quel soignant pour quelle activité ? Tout le monde ne peut pas tout faire.

Quel patient pour quelle activité ? Le patient et sa pathologie doivent doit être analysés.

Quel est l’objectif visé ? L’activité sera choisie en fonction de cet objectif.

Dans la prise en charge psychiatrique, le soignant s’engage personnellement. Il est l’outil principal du soin. La médiation thérapeutique contribue à aiguiser cet outil et son intérêt est indéniable.

Muriel Lycke, cadre supérieur de santé, rappelle l’évolution de la pratique du soin en psychiatrie et plus particulièrement celle de Ville-Evrard.

A une époque pas si lointaine, il existait une véritable ferme sur le site de Neuilly-sur-Marne. On y élevait des vaches, des cochons. Certains patients plus ou moins stabilisés participaient aux travaux de la ferme. Il s’agissait alors moins d’un atelier thérapeutique que d’un véritable travail, rémunéré à minima. Pourtant, on comprenait déjà l’aspect resocialisant de l’exercice. Les temps ont changé. Le politique est intervenu. La politique de soin s’est réorientée.

On ne raisonne plus selon un prisme hôspitalo-centré. Le soignant s’est rapproché du soigné et les structures de soins se sont multipliées dans la ville. Dans l’institution, on assiste à l’émergence de tout un ensemble de professions nouvelles : ergothérapeutes, art-thérapeutes, psychomotriciens, éducateurs spécialisés… En partenariat avec les infirmiers, ils apportent une réelle valeur ajoutée au suivi des patients.

Lydie Bozzano, psychologue clinicienne, retrace l’historique de la médiation thérapeutique et ses fondements théoriques. Elle partage une expérience clinique riche d’enseignements : un atelier d’écriture qu’elle a mis en place dans l’institution.

Déjà à l’aube du XIXème siècle, Philippe Pinel, avec son « traitement moral », portait un regard nouveau sur le
« malade mentale » et sur l’« asile ». Mais c’est surtout après la seconde guerre mondiale que les réformes de l’institution psychiatrique se sont accélérées. Parmi les principaux réformateurs, on compte : François Tosquelles qui révolutionne l'hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère, Georges Daumezon qui évoque dès 1952
« psychiatrie institutionnelle » ou encore Paul Sivadon à Ville-Evrard dans les années 50, qui obtiendra le soutien financier de la sécurité sociale.

D’un point de vue théorique, le XXème siècle a posé les fondements de la médiation thérapeutique. Hans Prinzhorn, dans son livre Expressions de la Folie publié en 1922, avance l’hypothèse d’une pulsion d’expression : la « Gestaltung ». Plus tard, Winnicott parle pour la première fois de « phénomène » et « d’objet transitionnels ». Marion Milner lui emboite le pas en définissant le terme « d’objet malléable », un élément fondamental pour la matérialisation de la souffrance psychique.

Deux exemples concrets illustrent l’importance thérapeutique d’un atelier de médiation. Tous deux sont issus d’une expérience originale : un atelier d’écriture.

En 2011, Mme K., une patiente mélancolique, s’est mise à écrire sur sa mère. Chaque année, celle-ci plaçait ses enfants, la patiente et son jeune frère, de manière solennelle, presque cérémonielle, devant un buffet ouvert dans lequel se trouvait une photo de leur frère décédé. Ce jeune garçon avait succombé à un accident domestique dont la mère portait la responsabilité.

Mme K. nous lit son texte relatant cette vision sidérante. La patiente s’approprie cette problématique sans s’y dissoudre.
De son côté, M. L. était dans un état confusionnel massif. Il cherchait systématiquement des cadavres derrière les portes de l’hôpital. Lors de l’atelier d’écriture, dans mouvement de surexcitation, il dessine un drapeau algérien qui occupe l’ensemble de la page. Puis il nous raconte. Lors de son service militaire dans les années 2000 en Algérie, il avait participé à une opération où des enfants avaient trouvé la mort. La verbalisation permet de distancier cette vision traumatisante.

Quatre jeunes ergothérapeutes : Margot Decot, Emilie Carmelito, Claire Detot, Daniel Boissin présentent leur profession à la lumière d’expériences vécues.

Les patients sont socialement très isolés, infantilisés par la société qui les catalogue (AAH, incapables majeurs). La médiation les responsabilise à nouveau.

« Un patient présenté comme irrémédiablement déficitaire s’est révélé très actif au moment de l’atelier, à la grande surprise des infirmiers. Au final, le test MMS (mini-mental state), qui évalue les fonctions cognitives et la capacité mnésique d'une personne, lui a octroyé une note de 28/30. ».

Il s’agit de retrouver le dynamisme de l’être dans l’agir. Pas d’ergothérapie sans activité. Pas d’activités sans relation thérapeutique.

« Un patient se promenait en permanence avec une veste militaire, lourde et large d’épaules : une sorte d’exosquelette. A L’issue d’une journée de randonnée, il a pour la première fois tombé la veste. »

La dimension « contenante » du cadre impacte le patient. La couleur comme la taille de l’espace. Trop grand, il peut générer de l’angoisse, trop petit, de l’oppression. Le cadre temporel d’un groupe à médiation doit être stable. La permanence des intervenants, la régularité des activités rassurent. Le respect de la règle tranquillise aussi. Chaque patient suivi signe un règlement. Il faut être à l’heure, propre, disponible.

« Parfois, c’est le soigné qui rappelle les autres à l’ordre. Une parole souvent plus écoutée que la nôtre. »

En quoi le travail ergothérapique et infirmier sont complémentaires ? L’infirmier est le lien indispensable avec le suivi médical du patient. Il assiste aux activités, participe souvent. Dans le dialogue avec son médecin, le patient cache parfois l’état véritable de sa maladie. Lors des activités, il donne à voir ses difficultés. Le regard de l’infirmier est alors précieux.

« Un patient refuse de prendre un médicament en particulier. Au moment d’un atelier, il affirme que « le rose est une couleur de pédale ». Il se trouve que le médicament est rose. L’infirmier le remarque. Il faut adapter son traitement. »

Deux cadres de santé : une praticienne, Yamina Caldarola et une enseignante en IFSI, Véronique Carret sollicitent les capacités d’analyse de l’auditoire à travers la remise en question d’un rapport de stage d’infirmier en psychiatrie.

Thomas souffre d’une psychose déficitaire. Agé de 38 ans, il est connu de l’institution depuis ses 22 ans. Il est suivi à l’hôpital de jour et au CMP. Un seul atelier semble lui convenir : l’atelier ping-pong. Il parle peu mais déclare aimer le sport. Il faut néanmoins aller le chercher chez lui chaque semaine car il ne se déplace pas seul.

Dans son rapport de stage, l’étudiante décrit l’état du patient, ses rapports avec lui pendant les trajets en voiture ou pendant l’atelier, ses diverses impressions.

La parole est donnée au public. Dans la salle, les étudiants réagissent à l’emploi des mots : le ping-pong est son seul « loisir », avec le patient nous parlons « de tout et de rien ». Ils relèvent aussi les éléments stigmatisant de l’exposé de la stagiaire : elle confesse sa « méfiance » vis-à-vis de « ce type de patient ». Emergent aussi des critiques sur le fond. Jamais elle ne s’interroge sur le choix du ping-pong, pourtant un sport d’affrontement où l’on peut se retrouver en situation d’échec. En clair, elle est partie d’un ressenti affectif. Il lui manque la posture de recul indispensable à la fonction soignante.

Tout en exposant les lignes de forces qui auraient dû émerger du rapport, Yamina Caldarola et Véronique Carret rappellent qu’il est primordial de donner du sens à ce que l’on fait. Il faut faire le lien avec l’enseignement théorique, croiser les données, mettre les situations à l’épreuve des compétences.

Deux soignantes en HDJ (Sabira Benyacine, Infirmière, et Julia Boudinet, éducatrice spécialisée) présentent trois vignettes cliniques : l’atelier marché, l’atelier cuisine, et la réunion thérapeutique.

L’hôpital de jour de Bondy est le cadre de nombreux ateliers de médiation. Les patients sont accueillis dans ce pavillon de banlieue avec jardin, de 9h à 17h, 5 jours par semaine. Le personnel soignant exerce plusieurs métiers : infirmiers ou éducateurs spécialisés. A chaque patient est attribué un soignant référent.

Le marché

Chaque mercredi matin, un groupe de patients, accompagné de quelques soignants, tient un stand de livres d’occasion au marché. Les clients ne sont pas gênés, les transactions se passent normalement. Parfois on entonne des chansons. On travaille sur l’inhibition des soignés « et des soignants aussi un peu ». « Tient, voilà les rossignols ! » dit le boucher qui les voit. Le marché offre au groupe une ouverture sur la ville, une opportunité d’intégration dans la communauté de Bondy.

L’atelier cuisine

Le vendredi matin, c’est l’atelier cuisine. En groupe, on prépare le repas du midi. C’est un moment convivial. On n’enseigne pas une technique mais plutôt les règles du vivre ensemble. Gilles a déjà travaillé dans une cuisine. Il est rapide, pressé. En surpoids lui-même, il a tendance à choisir des menus hyper caloriques. On le canalise. On travaille avec lui la résistance à la frustration.

La réunion thérapeutique

Cette réunion soignants / soignés est l’occasion de s’exprimer sur les activités de la semaine. Elle permet de remettre une distance thérapeutique avec les ateliers. Il est important de croiser les regards, de les analyser. CMP, HDJ, CATTP : il existe tout un plateau technique en charge du patient. La réunion inter-unités est aussi un élément essentiel du suivi thérapeutique.

« Je me suis retrouvée référente d’un patient de mon âge. Clairement, il m’abordait sur le mode de la séduction. Le travail en équipe permet de signaler ce type de problèmes. On s’autorise à passer la main. Rapidement, il a changé de référent. »

Contributions

Programme de la journée à télécharger
Compte rendu de la journée : Anne Sarradet 
Illustration : Philippe Cusse 

Contacts pour les enseignements cliniques

Direction des soins, promoteur des journées
Nadine Chastagnol, coordinatrice générale des soins
Muriel Lycke,  cadre supérieur de santé
directionsoins(at)epsve.fr
Tél. 01 43 09 33 54

Retour à l'argument des journées 2014

Création : 27.10.2014
Mise à jour : 26.02.2015

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