Enfants et adolescents placés
Monsieur Horreard, Délégué territorial ARS Seine-Saint-Denis, présente cette 7ème journée nationale des Hospitalisations Temps Complet de Pédopsychiatrie, qui se tient ce vendredi 18 novembre 2016 à la chapelle de l’EPS Ville-Evrard. L’offre pédopsychiatrique en Ile-de-France reste concentrée sur peu d’établissements destinés surtout aux longs séjours. C’est pourquoi l’ARS, dans le cadre du SROS, encourage le développement des CVSM, qui doivent permettre une coordination des prises en charge sanitaire, sociale et médico-sociale. Madame Albert, Directrice de l’EPS de Ville-Evrard, constate que les hospitalisations d’enfants à temps plein augmentent, mais restent insuffisantes au regard des besoins. Une réponse coordonnée est difficile à apporter, car les enfants doivent autant que possible rester scolarisés et proches de leurs familles. Le Docteur Bertrand Welniarz, Chef de pôle 93IO3, rappelle avoir publié en 2007 avec le Docteur Hasnia Medjdoub une enquête nationale qui montrait qu’entre 1986 et 2003, malgré l’augmentation du nombre de patients hospitalisés, le nombre de lits d’hospitalisation temps plein en pédopsychiatrie a diminué de 70 %. Les durées de séjour ont ainsi considérablement diminué, de plusieurs années auparavant à 42 jours en moyenne aujourd’hui. La Seine-Saint-Denis compte aujourd’hui 11 lits de pédopsychiatrie à Ville-Evrard, 9 à Montreuil, 9 à Aulnay-sous-Bois et 4 à Aubervilliers. Les solutions médico-sociales d’aval à l’hospitalisation manquent également, avec seulement deux ITEP en Seine-Saint-Denis, ce qui est très inférieur à la moyenne nationale.
L’hospitalisation en pédopsychiatrie dans le parcours du placement : au service de la vie psychique
Le Docteur Jean CHAMBRY, Président du collège de pédopsychiatrie de la Fédération Française de Psychiatrie, souligne que, dans le parcours de l’enfant placé, l’hospitalisation pédopsychiatrique offre une prise en charge de la crise, qui devra être suivie d’un accompagnement. Elle permet une observation à distance de l’entourage de l’enfant, un diagnostic, et la construction d’un projet de soin.
L’hospitalisation ne doit jamais être une solution d’hébergement par défaut. La notion de « troubles du comportement » est complexe et subjective : un comportement qui paraît « fou » peut manifester une difficulté de construction du rapport au monde et aux autres qui ne relève pas de la pédopsychiatrie. Le dialogue avec les proches et l’aide sociale à l’enfance (ASE) peut donc être difficile, ces derniers recherchant souvent un simple espace « contenant », alors que l’hospitalisation doit traiter une souffrance profonde de l’enfant, par-delà ses symptômes.
Les modèles cliniques sont eux-mêmes en conflit sur ces questions. D’après le modèle neuro-développemental anglo-saxon, l’impulsivité est considérée comme un trouble psychiatrique. La culture francophone tend davantage à examiner le passage à l’acte sous un angle psychopathologique.
L’agressivité est utile dans la construction de soi, mais s’oppose à la nécessité de se socialiser. La représentation de soi doit se confronter à un idéal, ce qui peut encourager à relever un certain nombre de tâches, mais peut aussi entraîner des effets de renoncement. Nombre des enfants placés se déprécient ainsi, ce qui leur rend difficile d’investir un avenir. Winnicott montre que pour supporter la frustration, il faut pouvoir envisager la possibilité du meilleur, ce qui suppose d’avoir bénéficié d’une qualité d’investissement : il faut avoir connu l’illusion du tout pour accepter le manque. Développer une capacité de rêverie suppose d’avoir rencontré des objets dont on puisse rêver. A l’inverse, les jeunes placés sont souvent allergiques à la déception, car elle leur renvoie l’image négative qu’ils ont d’eux-mêmes. La solution est alors de ne plus tenter de répondre aux demandes et de rejeter l’idéal de civilisation, notamment par des conduites transgressives. La consommation de toxiques s’impose dans ce cadre pour maintenir un sentiment d’existence.
Le temps d’hospitalisation offre alors la possibilité d’une rencontre. Les contraintes mises en place doivent être pensées en termes de bienveillance : l’objectif affiché doit être pour l’enfant de mieux se comprendre, et non de soigner une pathologie psychiatrique. Nombre de ces jeunes luttent en effet déjà contre une représentation d’eux-mêmes comme fous et craignent le diagnostic psychiatrique. Maintenir l’accompagnement extérieur au foyer, lorsque l’enfant le souhaite, est alors souvent la meilleure solution : l’objectif de l’hospitalisation sera alors pour lui de comprendre pourquoi il ne parvient pas à protéger ce projet.
Le rôle des parents pose une difficulté particulière. L’hospitalisation suppose souvent leur accord. Toutefois, placer un enfant suppose l’évaluation de leur incapacité à répondre aux problématiques de l’enfant, ce qui peut s’avérer difficile pour lui à assumer. Les parents (et les éducateurs) présentent une image d’impuissance, qu’ils opposent à la toute-puissance qu’ils prêtent aux psychiatres. Or, l’enfant ou l’adolescent s’imprègne souvent de l’angoisse des adultes à son égard.
Une autre difficulté sera de se préserver du rapport de force avec l’enfant. Présenter le cadre légal (et notamment le règlement intérieur) comme s’imposant au personnel hospitalier comme à l’enfant peut lui permettre de comprendre que la loi (en l’occurrence le placement) s’impose à tous et peut être bienveillante. Un travail d’équipe cohérent est alors essentiel, notamment pour permettre une « diffraction du transfert ». La contention dans des « espaces de repos sécurisés » et l’injection de psychotropes restent parfois nécessaires, mais leur sens doit pouvoir être compris.
Enfin, la sortie doit être préparée, au regard notamment des transferts massifs qui auront été créés. A cet égard, les collaborations interinstitutionnelles doivent être soutenues, pour instaurer une culture commune. Il est indispensable d’aider les parents et partenaires à mieux comprendre les actions du jeune, pour sortir ainsi de la seule confrontation avec lui. Les psychiatres doivent également chercher à revoir physiquement le jeune après sa sortie, au moins pour lui présenter les équipes qui le prendront en charge par la suite.
Table ronde
Madame Christina Rinaldis, juge des enfants, Tribunal de Bobigny, explique que son contact avec les pédopsychiatres concerne généralement des dossiers violents et urgents. Les juges de l’enfant ont à cet égard une compétence de « clinique judiciaire », qui leur permet de prendre position, éventuellement sans l’avis des professionnels, sur la pathologie de l’enfant et ses besoins de prise en charge médico-sociale.
Les mineurs sont représentés légalement par leurs parents. L’autorité parentale doit être exercée communément par père et mère (article 372 du Code civil) et dans l’intérêt de l’enfant (article 371-1). Chacun des parents est donc réputé agir avec l’accord de l’autre, ce qui pose des problèmes en cas de séparation.
Les enfants peuvent être placés dans le cadre d’un jugement de placement ; d’un contrat du conseil départemental avec les parents en vue de l’accueil provisoire du mineur ; ou dans le cadre d’un placement pénal, en foyer PJJ ou à l’ASE, si l’infraction a été commise par manque d’accompagnement éducatif ou à la suite d’une rupture de traitement médical.
La multiplication des interlocuteurs (médecins, ASE, parents, etc.) complique la lecture de la situation. Or, les discours contradictoires entretiennent les jeunes dans leur refus des adultes. Le juge des enfants est tenu de rechercher l’adhésion de la famille (article 375-1), y compris l’adhésion de l’enfant, qui doit être entendu au même titre que les parents. Les parents, les tuteurs et les enfants eux-mêmes peuvent saisir le juge, qui peut également se saisir lui-même en cas de danger grave et immédiat pour l’enfant (loi du 24 mars 2016). Le juge ne peut pas imposer un suivi thérapeutique, mais il peut imposer un diagnostic. Après avis d’un médecin extérieur à l’établissement, il peut placer ordonner le placement dans un établissement sanitaire (article 375-9) pour une durée maximale de 15 jours. Les renouvellements ultérieurs, d’1 mois, sont laissés à l’appréciation des médecins de l’établissement d’accueil.
« En cas de refus abusif ou injustifié » par les parents d’un placement ou de « négligence » pouvant être prouvée de leur part, des délégations de signature d’autorité parentale peuvent permettre au juge des enfants d’autoriser le conseil départemental à prendre des décisions concernant la vie quotidienne de l’enfant.
Enfin, l’obligation de soin peut être imposée à titre de sanction pénale. La prison peut alors permettre d’assurer cette obligation en cas de refus des soins par le mineur.
Madame Claudie Reixach, chef de service ASE de Seine-Saint-Denis, indique que 4 664 enfants étaient confiés à l’ASE au 31 décembre 2015. La loi du 14 mars 2016 a fait une place très importante aux besoins de l’enfant et à sa santé. Un projet pour l’enfant doit ainsi être établi avec l’enfant, ses parents, les tiers, les services départementaux et les établissements de soin éventuels. Une évaluation médicale et psychologique est notamment prévue par l’article L223-1-1 du Code de l’action sociale et des familles.
La collaboration du soin psychique avec l’ASE est cruciale, l’ASE devant parfois accueillir les enfants qui ne peuvent pas être hospitalisés faute de place. Un appel à projets a été lancé pour construire des réponses pour les enfants à symptômes complexes à travers une commission centralisée, à laquelle trop peu de pédopsychiatres sont représentés. L’indication d’hospitalisation doit faire l’objet de formations communes pour permettre une compréhension mutuelle, et les référents de suivi psychiatrique doivent être plus clairement définis, en cas de changement de lieu notamment.
Le Docteur Grue, médecin référent ASE, Seine-Saint-Denis, présente le cas clinique d’un jeune homme de 14 ans, dont la mère, toxicomane et dépressive, est décédée en 2010 et qui n’a rencontré son père qu’une seule fois. Des troubles de l’attention, une intolérance à la frustration et une agitation sont repérés dès l’âge de 5 ans. Il est alors suivi en CMPP jusqu’en 2012, puis confié à sa tante maternelle. Une mesure de placement est toutefois prononcée en 2015 en raison de la multiplication de ses mises en danger et de son absence de communication avec sa tante. S’ensuivent alors des fugues et exclusions successives de ses lieux de placement, avant qu’un placement à l’hôpital pédopsychiatrique Robert Debré soit prononcé, d’où il s’échappe rapidement. Sa trace est régulièrement retrouvée suite à des séjours en hôpital pour des consommations massives de toxiques. Un nouveau séjour pédopsychiatrique révèle alors un état limite et des traits psychopathiques. Actuellement placé dans une institution de Seine-Saint-Denis qui n’accueille que trois adolescents, il limite enfin ses mises en danger. Une hospitalisation est toutefois attendue, pour une évaluation plus fine. Cette attente permet déjà un contact avec la pédopsychiatrie, essentiel pour rassurer les éducateurs. Le suivi après l’hospitalisation sera primordial également.
Le Docteur Hasnia Medjdoub, praticien hospitalier, EPS Ville-Evrard, présente la Nacelle, unité pédopsychiatrique de 11 enfants de 4 à 12 ans. Les séjours sont de trois à quatre mois en moyenne, pour tout symptôme psychiatrique aigu : généralement des troubles du comportement, des menaces dépressives, une anxiété massive. L’hospitalisation à temps plein implique une distanciation avec les parents, qui doit permettre une réappropriation par le patient de sa pensée, de ses émotions et de sa capacité de verbalisation.
Les troubles précoces sont difficiles à détecter car souvent masqués par une accentuation de l’attachement, liée à des dysfonctionnements dans l’exercice de la parentalité. C’est plutôt au moment de la socialisation que la situation se dégrade. L’urgence de la séparation doit être évaluée au regard des risques traumatiques liés à une séparation non préparée. L’hospitalisation est alors tentante pour justifier la séparation, particulièrement lorsqu’aucun lieu d’accueil adapté n’a pu être trouvé. Si la majorité des demandes d’hospitalisation aboutissent, il reste toutefois essentiel pour les parents comme pour l’enfant de bien distinguer entre une séparation motivée par la protection de l’enfant et une séparation motivée par la nécessité de le soigner.
40 % des enfants admis à la Nacelle avaient auparavant été confiés à l’ASE. Le nombre des interlocuteurs est alors d’autant plus élevé que le parcours de l’enfant aura été chaotique. Ils sont rencontrés (y compris les parents) avant d’accueillir l’enfant, afin notamment de définir les modalités de l’hospitalisation (sorties, appels téléphoniques, adresse extérieure) et de la première rencontre avec l’enfant (seul, ou avec ses parents, sa famille d’accueil, etc.). Autant que possible, il lui sera alors demandé d’ébaucher un objectif propre à son séjour hospitalier.
L’assistante familiale accompagnera l’enfant dans cette nouvelle expérience de séparation, qui doit absolument être préparée. La multiplicité des attachements et séparations successifs chez l’enfant placé est généralement aggravée par sa tendance à recréer sa situation familiale pathologique initiale. Ces multiples causes possibles des troubles de l’enfant doivent être analysées pour préparer la prise en charge clinique.
La sortie est une nouvelle séparation qu’il faudra préparer et rendre aussi progressive que possible, par des soins en ambulatoire et un accueil de jour. Le rôle des partenaires de l’institution est alors essentiel à nouveau.
Le Docteur Clémentine Rappaport, chef de service, CH Aulnay-sous-Bois, rappelle que, selon une étude de 2007 publiée dans Perspectives psychiatriques, 25 % des demandes d’hospitalisation pédopsychiatrique émanent de l’ASE. Or, seuls 50 % des adolescents hospitalisés issus de l’ASE ont bénéficié d’un suivi psychiatrique antérieur, contre 82 % des adolescents vivant en famille. Pour les équipes de l’ASE, accompagner un enfant à des rendez-vous de suivi psychiatrique représente en effet beaucoup de travail et des difficultés d’organisation. Les équipes de soins elles-mêmes sont souvent réticentes à prendre en charge des enfants placés. Les référents sont souvent multiples, les rendez-vous non honorés, et le lien thérapeutique voué à se rompre.
Seuls 10 % des adolescents vivant au domicile parental sont hospitalisés pour des troubles du comportement, contre 50 % pour les adolescents placés à l’ASE. La deuxième cause d’hospitalisation pour ces derniers est l’erreur d’orientation (20 %). La dépression sévère représente 16 % des cas.
L’hospitalisation est urgente à 52 % pour les adolescents placés ; à 43 % pour les adolescents en famille.
Le taux d’admission est de 86 % pour les adolescents en famille ; 56 % pour les adolescents placés.
10 % des enfants sont placés en cours d’hospitalisation. Une levée de placement en cours d’hospitalisation n’a lieu que dans 2 % des cas.
Les relations avec l’ASE, pourtant souvent houleuses, concernent ainsi 50 % des cas. Les équipes éducatives demandent souvent du soin, même si la confirmation de l’indication d’hospitalisation les effraiera. Elles refuseront ensuite trop souvent de coopérer avec les équipes de soin, un processus d’abandon inconscient étant souvent en cours. L’hospitalisation révèle également des tensions préalables entre les foyers et l’ASE, les éducateurs et leur hiérarchie, l’ASE et les juges : l’hospitalisation risque alors de ne plus être qu’une étape récurrente dans un parcours circulaire entre des institutions en conflit.
Afin de lutter contre cette tendance, la pédopsychiatrie doit retrouver et accompagner une histoire du sujet par-delà son histoire administrative. Le sens du placement notamment, qui évolue de l’enfance et à l’adolescence, doit sans cesse être questionné.
Pour instaurer des liens de confiance entre l’ASE et les équipes de soin, il est enfin essentiel qu’elles puissent se rencontrer en dehors des situations de crise clinique, qu’elles seront alors mieux préparées à traverser.
Le Professeur Thierry Baubet, service de pédopsychiatrie, Hôpital Avicenne à Bobigny, souligne que les situations de pédopsychiatrie se terminent parfois en psychiatrie adulte, où ce travail de lien avec des partenaires extérieurs n’existe pas, ce qui peut aggraver les situations. La spécificité de l’hospitalisation pédopsychiatrique doit ainsi être défendue.
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Texte : Société Ubiqus
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Mise à jour : 20.03.2017