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Santé mentale et travail

Brigitte Delphis, déléguée départementale de l’Unafam, souligne en introduction que le travail est un droit, qui favorise l’inclusion sociale et le rétablissement des personnes vivant avec un trouble psychique. La solidarité de la puissance publique est nécessaire pour les accompagner dans ce défi. Elle remercie les invités pour leur présence, qui atteste, comme les multiples dynamiques mises en place au niveau départemental et national, de cette solidarité. Les dispositifs de droit commun doivent s’adapter aux personnes handicapées et non l’inverse. 

Magalie Thibault, vice-présidente du Conseil départemental 93, en charge de l’autonomie des personnes âgées et handicapées, rappelle que le département s’investit depuis 2010 aux côtés de l’Unafam pour organiser ces journées sur la santé mentale. Un tiers des demandes adressées à la MDPH concernent les troubles psychiques. Grâce à l’engagement de l’Etat et de l’ARS aux côtés du département, le plan Défi handicap voté en octobre 2016 prévoit la création de 1000 places supplémentaires en établissements et services. L’Unafam vise également à développer les liens entre le sanitaire et le médico-social, avec l’habitat inclusif et la PCH mutualisée. Elle salue le travail des associations sur le département. L’OMS s’inquiétait dès 2010 des risques psychiques représentés par le chômage de masse. Le maintien dans l’emploi notamment reste plus difficile à assurer que l’insertion professionnelle. 

Jean-Pierre Horreard, délégué territorial de l’agence régionale de santé, convient que le lien entre la santé et le travail devra être mieux pris en compte dans le futur Projet régional de santé de l’ARS. La difficulté à surveiller les impacts du travail tient au caractère multifactoriel et non spécifique des troubles engendrés. La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), depuis la loi 2005, est une avancée essentielle. Les 21 ESAT de Seine-Saint-Denis offrent également une gamme complète d’activités adaptées aux personnes exclues des emplois ordinaires, même si l’égalité d’accès aux ESAT reste également à améliorer. Un droit à une assistance éducative devrait être accordé minimalement. 

Sophie Albert, directrice générale de l’EPS Ville-Evrard, rappelle que la journée SISM de l’année précédente, portant sur la santé mentale et la santé physique, a abouti à une convention avec la Fédération nationale des centres de santé visant à resserrer les liens entre les CMP et les centres de santé. Elle évoque les travaux engagés depuis un an  autour des enjeux d’amélioration des parcours de santé et de vie des malades  qui  ont mobilisé institutions et associations du département et la question du décloisonnement des financements du médico-social et du sanitaire. 

Le Dr Laurent Vassal, président de la CME de l’EPS Ville-Evrard, souligne la nécessité de travailler davantage avec les familles, les associations et les partenaires. De plus en plus de patients souffrent de la situation sociopolitique actuelle (fracture numérique, crise du travail, des valeurs, etc.) et font état d’un sentiment d’exclusion et d’anomie. La Communauté psychiatrique de territoire travaillera à l’échelle du département dans le cadre d’un collège médical préfiguratif, dont les axes de travail incluront notamment l’accueil des migrants, qui impacte particulièrement le 93, au même titre que la démographie croissante. Les acteurs de la santé devront être dotés des moyens afférents. 

Fadela Benrabia, préfète déléguée à l’égalité des chances de Seine-Saint-Denis, rappelle combien l’évolution extrêmement rapide de la société empêche les personnes touchées de troubles mentaux de trouver des repères et de satisfaire aux compétences et performances inouïes actuellement demandées. L’hypersélectivité de l’école, puis l’absence de collectif dans l’espace professionnel, entraînent des troubles qui ne sont pas traités, d’abord parce qu’ils font peur. La responsabilité des médias à cet égard est importante. Fadela Benrabia soutient donc cette journée et sera attentive à ses conclusions.

Conférence : Les pratiques de soins de réhabilitation, en quoi favorisent-elles le parcours vers et le maintien dans l’emploi ? 

Le Dr Khalid Kalalou, psychiatre responsable du centre de psychothérapie, pôle 93G03, et Clémence Isaac, psychologue au pôle 93G03, doctorante sur la remédiation cognitive dans le trouble bipolaire, expliquent que la dimension cognitive de la schizophrénie a été occultée par la séparation entre le psychologique et le cérébral. La schizophrénie se manifeste par des troubles positifs (un délire, des hallucinations) ou négatifs (un émoussement affectif, une pauvreté du discours, une anhédonie et des troubles de la motivation), mais aussi par des troubles de la neurocognition (troubles de l’attention, de la mémoire et des fonctions exécutives) et de la cognition sociale (perception des expressions des émotions, compréhension des états mentaux chez autrui, difficultés avec la métaphore et avec la réflexivité sur sa propre pensée). 70 à 80 % des patients schizophrènes souffrent ainsi de troubles cognitifs. Or, leur pronostic à long terme se mesure davantage à la sévérité de leurs troubles fonctionnels que de leurs troubles cliniques. 

Le traitement de la schizophrénie ne saurait donc se résumer à la pharmacothérapie, qui reste indispensable, mais n’agit pas sur les symptômes cognitifs et négatifs. Ceux-ci supposent une réhabilitation psychosociale et des mesures de prévention des pathologies somatiques et des addictions. Les méthodes employées sont alors la psychoéducation, le travail avec la famille, l’entraînement aux habiletés sociales, les TCC (qui portent sur la façon d’interpréter les événements pour traiter leurs conséquences sur le comportement) et la remédiation cognitive. 

Cette dernière cible des fonctions cognitives spécifiques par un entraînement intensif : l’attention, la mémoire, la résolution des problèmes et la cognition sociale. Son coût est modeste et ses effets secondaires nuls. D’abord proposée aux personnes souffrant de lésions psychiques, elle a été appliquée à la schizophrénie du fait des liens étroits entre symptômes cognitifs et fonctionnement social. Les programmes sont généralement organisés en modules d’exercices de difficulté progressive, que le patient peut suivre seul chez lui. Les séances peuvent être collectives (jusqu’à 5 patients) ou individuelles. Une thérapie de trois mois permet au patient d’intégrer des stratégies cognitives qui rendront possible son retour vers le travail, dont l’enjeu majeur reste l’accomplissement de soi. Le bénévolat en est donc une modalité à part entière. 

La remédiation cognitive commence également à être appliquée aux troubles bipolaires, à la dépression, l’anorexie, la TDAH et à l’autisme. 

Table ronde : Accompagnement vers et maintien dans l’emploi d’une personne vivant avec des troubles psychiques qui souhaite et qui peut travailler

Le Dr Bernard Topuz, coordinateur du CLSM de Montreuil, signale l’existence d’un Guide handicap psychique et emploi en Seine-Saint-Denis, réalisé par le conseil départemental, et d’un Recueil des bonnes pratiques pour l’accès à l’emploi, réalisé par l’Unafam.

Restitution de l’enquête Emploi auprès des familles du département de Seine-Saint-Denis

Alix Niel et Lucien Petot, membres du bureau délégation UNAFAM 93, expliquent qu’un questionnaire d’une dizaine de questions sur l’emploi des personnes en situation de handicap psychique a été envoyé par mail aux adhérents de l’Unafam 93 et à ses partenaires, ainsi qu’aux personnes reçues en groupes de parole dans le département. Une enquête plus large envoyée au niveau national en 2016 a permis de croiser les résultats obtenus, qui sont les suivants. 

Au niveau national comme local, 20 % des proches concernés sont en poste et 80 % ne travaillent pas (parmi lesquels 35 % ont travaillé avant et 23 % après le diagnostic de la maladie, et 23 % n’ont jamais travaillé). Pour une population de 36 ans de moyenne d’âge, dont le niveau d’études est majoritairement post-bac, l’expérience professionnelle est seulement de 3 ans en moyenne. 

Ceux qui travaillent le font majoritairement en CDI, à 50 % dans le secteur privé, à 20 % dans le secteur public et à 14 % en ESAT en local (23 % au niveau national). Au niveau local, les emplois occupés sont majoritairement peu qualifiés, même si 30 % occupent des fonctions d’ingénieur ou de cadres. Cet aspect n’est pas documenté au niveau national. 20 % seulement bénéficient d’accompagnements spécifiques. La question relative aux aménagements RQTH est peu renseignée, ce qui montre probablement leur méconnaissance. 

Ceux qui ne travaillent pas sont au chômage à 43 %, à 27 % en invalidité, à 5 % en hospitalisation et à 3 % en études. Seuls 32  % exercent une activité sociale, principalement en association sportive au niveau national, mais principalement en CATTP et hôpital de jour au niveau local. 

Les obstacles à l’emploi les plus cités sont, dans l’ordre décroissant, la maladie, le manque de confiance, les contraintes de la vie professionnelle, les effets secondaires des médicaments, l’absence d’accompagnement vers l’emploi, les transports et la formation. 

Les proches concernés sont majoritairement logés dans leur famille. Le travail de l’aidant familial est souvent féminin et non reconnu. L’autonomisation du proche malade passe pourtant par un logement indépendant avec accompagnement.

D’une évaluation à l’emploi : illustration de trajectoires par le reclassement professionnel

Blandine François, directrice adjointe MDPH, rappelle que la loi de 2005 crée les MDPH comme guichets uniques d’ouverture des droits RQTH et centres d’orientation vers le médico-social (pas vers le sanitaire). En Seine-Saint-Denis, près de 38 000 dossiers y sont traités par an, pour 110 000 demandes d’ouvertures de droits.

Sur 95 000 décisions prises en 2015, 15 000 ont concerné les orientations professionnelles, avec 10 000 orientations vers le milieu ordinaire et plus de 1000 vers le milieu protégé, soit principalement vers les ESAT, qui proposent des activités adaptées, garantissant une rémunération.

La RQTH, qui n’est pas obligatoire, n’est pas liée à un taux d’incapacité et ne procure pas d’avantage financier, mais permet de bénéficier d’un soutien spécialisé par Pôle Emploi et Cap Emploi, des dispositifs de l’obligation d’emploi, de la formation professionnelle et des aides de l’association de gestion sur l’insertion professionnelle des personnes handicapées et du fonds d’insertion des personnes handicapées de la fonction publique. Pour les personnes déjà en emploi, un accompagnement est assuré par le service d’appui de maintien dans l’emploi (SAMETH)

Dans le cas d’une déclaration d’inaptitude, des réorientations sont possibles vers les centres de rééducation professionnelle, les Unités d’évaluation ou de reclassement et d’orientation sociale (UEROS) ou la préorientation spécialisée.

Enfin, une allocation adulte handicapé est un revenu minimum alloué aux personnes reconnues par la MDPH comme ne pouvant pas travailler. 

Jordi Molto, psychiatre évaluateur à la MDPH, précise que l’évaluation des dossiers en MDPH est réalisée par des médecins, des psychologues, des travailleurs sociaux, des ergothérapeutes et des enseignants spécialisés, dans le cadre d’un partenariat avec Ville-Evrard et l’Unafam, sous la coordination de l’action sociale. Le diagnostic médical s’accompagne d’un bilan d’autonomie. Au besoin, des entretiens peuvent éventuellement être réalisés avec les usagers, qui peuvent alors être accompagnés. 

Blandine François ajoute qu’une équipe pluridisciplinaire dédiée à l’insertion professionnelle fait intervenir mensuellement des partenaires comme Pôle Emploi ou Cap Emploi, etc. sur des cas complexes. 

La réadaptation professionnelle : un tremplin vers l’emploi

Fatima Belalia, directrice, référente du pôle médico-social adultes du Centre de réadaptation professionnelle d’Aubervilliers (groupe UGECAMIDF), présente d’abord l’UGECAM Ile-de-France, un réseau de 17 établissements sanitaires et médico-sociaux de réadaptation professionnelle, qui travaille avec les entreprises, les réseaux de santé, les familles, le conseil régional, etc. Dorienne Aumont, responsable du service pédagogique et de la prise en charge, explique que les CRP incluent également un service insertion, destiné à favoriser le retour à l’emploi, en lien avec des assistantes sociales et une chargée de relation entreprise. Les CRP proposent un suivi (médical et paramédical) jusqu’à 36 mois après la sortie des personnes des établissements de santé, ainsi que des formations adaptées. Catherine Portelette, psychologue, présente quant à elle le service Médical et Paramédical qu’elle coordonne en vue du retour à l’emploi. Pluridisciplinaire, il propose une psychoéducation, visant à mieux faire comprendre leur situation de handicap psychique aux personnes concernées, et à les faire reprendre confiance en elles en développant tout leur potentiel. 

Maintien dans l’emploi d’une personne vivant avec un trouble psychique

Eva Sanchez, directrice du Service d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (SAMETH 93), explique qu’il a pour mission d’éviter la désinsertion professionnelle et notamment les licenciements pour inaptitude au travail. Financé par l’AGEFIPH et le fonds pour l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés, il intervient sur site (avec l’accord de l’entreprise et de la personne) pour préconiser des aménagements de poste, des reconversions vers d’autres postes au sein de la même entreprise, voire vers d’autres métiers. Il suffit d’avoir déposé un dossier de demande de RQTH pour y avoir droit. Tous les handicaps sont pris en charge. Souvent, les handicaps officiellement reconnus cachent des handicaps psychiques plus mal assumés. Le médecin du travail est le premier interlocuteur sollicité. Des experts psychiques du réseau ACE peuvent également être appelés à l’aide pour proposer un plan d’action, avec de la remédiation cognitive, de la gestion du stress, etc. Les conclusions sont restituées à l’employeur, dans le respect du secret médical, pour lui permettre de mettre en œuvre les préconisations associées. 

Emploi accompagné, le job coaching

Bénédicte Das Neves, coordinatrice départementale, CAP Emploi 93, rappelle que l’offre de service Cap Emploi vise les employeurs et les personnes en situation de handicap dotées d’une RQTH orientation milieu ordinaire et stabilisées. 8 % des personnes accompagnées sont (d’après les déclarations) en situation de handicap psychique, souvent occasionné par un handicap physique soudain. Le recours à des professionnels est nécessaire pour l’accompagnement quotidien de ces personnes. Cap Emploi fait appel dans ce cadre à IRIS MESSIDOR. Agnès Ducré-Sié, directrice d’IRIS MESSIDOR, présente cette association créée en 1973 pour traiter l’exclusion sociale et les pathologies psychiques, en trouvant des solutions adaptées, dont, depuis 2015, l’emploi accompagné en entreprise, sans limitation de durée. Ce dispositif a fait l’objet d’un décret en décembre 2016. Il existe depuis 25 ans dans les pays anglo-saxons. Il ne s’agit pas seulement d’un accompagnement du poste, mais d’une réponse apportée aux angoisses et problématiques qui viennent encombrer la personne et son collectif de travail. Le travail apporte une identité à la personne et lui permet de structurer sa journée : il est donc facteur de rétablissement, même s’il peut être source de RPS. Dominique Fernandes, job coach, a ainsi été sollicité pour une personne de plus de 50 ans, en rupture avec le numérique, qu’il a suivie une fois par semaine et qui a finalement pu trouver un CDD. Il a assisté à l’entretien d’embauche et va désormais la voir une fois par mois sur son lieu de travail. Son accompagnement s’appuie sur Cap Emploi, qui apporte son réseau professionnel et ses services. C’est pourquoi il est important que Cap Emploi prenne d’abord en charge les personnes avant de les orienter vers un job coach. 

Table ronde : Santé mentale et travail : les risques psycho-sociaux

Cristiane Zachariou, coordinatrice du CLSM des Pavillons-sous-Bois, rappelle en préambule qu’un accord-cadre oblige depuis 2013 les trois fonctions publiques à évaluer les RPS et à mettre en place des plans d’action à leur égard. 

Rationalisation de l’activité et souffrances au travail

Tiziana Pitton et Gaëlle Sevellec, psychologues du travail et consultantes, présentent une expertise qu’elles ont menée à la demande d’un CHSCT, auprès du service de la maquette d’un grand organe de presse, qu’elles surnomment par confidentialité « News Hebdo ». Un des salariés de la maquette s’était notamment plaint de harcèlement de la part de ses collègues. Une expertise avait été conduite en interne, qui aboutissait à pointer la responsabilité de deux personnes en particulier. Ces conclusions ne satisfaisaient pas le CHSCT, qui a donc fait appel à une expertise externe. 

Des entretiens individuels et collectifs des salariés du service, mais aussi des services collatéraux, ont été menés. L’évolution de l’organisation du service notamment a été examinée. Avant 2007, News Hebdo était un journal d’actualité, avec une « ambiance de ruche » et un chemin de la copie chaotique. Chaque maquettiste pouvait toutefois choisir de travailler sur un magazine en particulier et le collectif de travail semblait à l’époque soudé, ce qui permettait de surmonter les difficultés. Des facteurs reconnus comme protecteurs de la santé au travail étaient ainsi présents : la possibilité de suivre ses goûts, l’entraide collective, une identité d’entreprise, un retour sur investissement, un sentiment d’être utile, créatif et de trouver un sens à son travail. 

La crise de la presse écrite a entraîné le rachat du groupe en 2006 et un changement de ligne éditoriale, ainsi que de directeur artistique, désormais chargé de rationaliser l’organisation, avec une planification des horaires, des procédures de contrôle, la mise en place (sans formation) d’une polyvalence pour les salariés, et une individualisation de la performance, avec un ratio de pages à monter par heure et par maquettiste. En 2012, deux équipes de maquettistes ont également été rassemblées, alors que l’une travaillait sur un hebdomadaire et l’autre sur un mensuel, ce qui a entraîné un conflit des manières de travailler : les maquettistes du mensuel notamment n’avaient pas l’habitude de l’effervescence propre à un hebdomadaire, qui a fini par être vécue comme du harcèlement personnel. 

Les conflits peuvent ainsi souvent être dépersonnalisés en étant rattachés à des problèmes d’organisation, une communication institutionnelle insuffisante et des changements vécus comme un appauvrissement du travail. 

Travail et santé en consultation de psychiatrie

Jérôme Payen, psychiatre, CMP de Saint-Ouen EPS de Ville-Evrard, rend d’abord hommage à Patrick Chaltiel, qui l’a formé à la thérapie familiale et l’a ouvert aux dimensions non médicales de la psychiatrie. 

Central dans le monde du sujet, le travail concerne le CMP en tant qu’outil de réinsertion et en tant que source de maladie. 

Son utilité comme outil de réinsertion est reconnue depuis longtemps. Durant la guerre, de nombreux malades ont fui les asiles et réussi des réinsertions sociales spectaculaires, ce qui a incité les psychiatres à développer la dimension sociale et phénoménologique de la psychiatrie. Avec Tosquelles, la thérapie institutionnelle s’est alors donnée pour objectif de « soigner l’institution » en instaurant un collectif vertueux, notamment en rappelant aux soignants que « les malades ne sont pas des maladies » (Winnicott) et en rétablissant des symétries dans le milieu du travail. Les tensions des patients à l’égard de leur environnement social peuvent ainsi être soulagées. 

Lorsqu’au contraire le collectif commence à disqualifier les qualités et l’intelligence individuelle, il peut rendre malade, voire tuer. Le CMP accueille de plus en plus de patients sans antécédent particulier, pour des souffrances au travail. Or, le parcours de soin n’a pas été conçu pour eux et doit s’y adapter. L’identité est le résultat d’un équilibre dynamique entre l’ego, le réel et autrui par l’intermédiaire du corps : c’est cet équilibre qui est menacé dans la souffrance au travail, particulièrement avec le développement des normes de normalité. La normalité n’est pourtant pas un état, mais le résultat d’un ensemble de stratégies permettant de surmonter des conflits et de se défendre contre la souffrance. Ainsi, par nature, le travail fait souffrir : de cette manière, il provoque des adaptations dont seules peut résulter un plaisir. Par conséquent, prétendre évacuer la souffrance du travail est mensonger. D’autre part, certains facteurs comme l’hybridation numérique ont créé une indistinction des espaces privé et professionnel et facilité la confusion des expériences émotionnelles. 

Les consultations de souffrance au travail sollicitent les psychiatres à trois niveaux, qu’il faut bien différencier. 

Le premier, médical, consiste à objectiver les symptômes dans un diagnostic, pour permettre aux personnes d’être indemnisées, d’avoir droit à des congés, etc. Le diagnostic du burn-out est à cet égard l’un des seuls à prendre en compte le contexte du sujet, et non seulement sa vulnérabilité. 

Le deuxième est intersubjectif : il faut se mettre au niveau du patient pour lui permettre de retrouver une réflexivité sur ses difficultés, mais aussi sur les stratégies qui lui avaient longtemps permis de surmonter les épreuves.

Le troisième est le rapport du psychiatre à son propre travail. Cultiver par exemple un culte de la performance, ou être soi-même désocialisé dans le travail, empêchera totalement le psychiatre d’aider le patient. Avec les contraintes qui portent actuellement sur le monde de la santé, ces problèmes risquent de s’accentuer. 

Quelques nécessités pour la santé mentale des soignants en psychiatrie

Patrick Chaltiel, psychiatre, chef de pôle 93G14 EPS de Ville-Evrard, indique avoir traversé deux dépressions dans sa vie professionnelle. La première a suivi son entrée en psychiatrie, qu’il a très mal vécue. Il découvre « l’odeur de l’abandon » et saura désormais la repérer. Sa deuxième dépression vient de la découverte à 62 ans de sa condition mortelle, suite à une menace cardiaque, et à des événements politiques (attentats, Brexit, élection de Donald Trump), sur lesquels il n’a plus le sentiment de pouvoir agir. Or, Jean Furtos définit la santé mentale comme « un état qui permet de ressentir, d’agir et de souffrir, sans destructivité, mais non pas sans révolte, au sein d’un environnement au sein duquel j’ai le sentiment de pouvoir agir pour le transformer ».  

Les soignants ont besoin de pouvoir partager la souffrance du patient avant de la lui restituer transformée. Cette souffrance est fructueuse et doit être reconnue comme une qualité soignante. Or, elle est aujourd’hui traitée par la positive psychology comme un événement indésirable. 

Quatre facteurs peuvent entraîner des souffrances réellement pathogènes pour les soignants :

 les facteurs cliniques : le déni des troubles par les patients, la violence de leurs comportements, et la violence par définition du soin psychiatrique lui-même exposent inévitablement le psychiatre à des regards hostiles ;

  les facteurs individuels : les personnalités héroïques, sceptiques, dépendantes affectivement, autistiques, etc. n’exposent toutefois aux RPS que si l’environnement est aggravant ;

 les facteurs institutionnels : le management, etc. peut produire de sévères dégâts, surtout par l’oubli du rôle social de l’institution à l’égard de ses acteurs ;

 les facteurs sociétaux : la peur des fous, la méfiance à l’égard des psychiatres, etc. restent difficiles à supporter. 

La psychiatrie est donc amenée à traiter elle-même ses propres traumatismes professionnels. Une culture du « prendre soin » mutuel est donc indispensable, en plus du soin premier dû aux patients. Des réunions souvent jugées chronophages (la traçabilité l’est pourtant davantage) sont indispensables, pour remettre en question les savoirs et rappeler aux soignants leur fragilité propre. Une équipe où chacun penserait prendre les bonnes décisions et où tous seraient d’accord devrait inspirer la plus grande méfiance. 

Conférence : Santé mentale, travail et citoyenneté

Pascale Molinier, professeur de psychologie sociale, Université Paris 13 Nord, énonce d’abord un paradoxe du travail : associé ordinairement à la souffrance, il est considéré comme thérapeutique lorsqu’il s’agit des patients. S’agit-il alors du même « travail » ? 

D’une manière très originale à une époque où Sivadon par exemple soulignait les effets néfastes d’un travail répétitif et routinier, François Tosquelles a insisté sur les bienfaits d’un travail consistant, non pas à « gagner sa vie » (on la gagne à la naissance), mais à la développer, par la mise en œuvre d’une imagination créatrice, pour laquelle le « bricolage » est essentiel. Surtout, son modèle initial était celui de la ferme hôpital, où toutes les activités étaient réalisées collectivement par les patients avec les soignants. Tout travail réalisé seul n’aurait aucune valeur thérapeutique. Ce qui compte est la contribution de la moindre activité à l’élaboration d’un monde commun aux soignés et aux soignants, ainsi qu’avec le monde extérieur à l’hôpital et avec l’altérité en général, en surmontant les peurs réciproques. 

La contribution des familles peut alors être pensée en termes de travail également. La notion de « care » (prendre soin) recouvre cette dimension du soin généralement passée sous silence. Une grande partie du travail des soignants et des associations en relève. Les relations entre les soignants et les familles sont généralement difficiles, mais ce conflit est nécessaire. Il s’agit d’abord de comprendre les difficultés spécifiques respectives de chacun dans le soin, en effaçant toute hiérarchie. La souffrance au travail des équipes professionnelles doit être prise en compte. Elles subissent notamment des contraintes organisationnelles liées à la politique de la ville et leur travail ne peut en être abstrait. Parler de ce travail et le faire comprendre dans sa réalité (y compris de « bricolage ») est alors le meilleur moyen de faire tomber les barrières imaginaires entre les patients, les familles, les professionnels du soin et les experts de la santé. 

En conclusion, un individu n’existe jamais seul. Prendre en compte sa vulnérabilité indépendamment d’un collectif est un piège mortel pour la psychiatrie. A l’inverse, un collectif ouvert et en perpétuel mouvement est la condition de l’autonomie : ce que nous gagnons en autonomie, nous le devons à nos interdépendances. 

Contributions

Compte rendu de la journée : société Ubiqus
Programme de la journée à télécharger

Co-organisateurs - collectif SISM 93 

Associations d’usagers et familles (Unafam et Udaf), conseil départemental, délégation territoriale de l’agence régionale de santé, EPS Ville-Evrard, services psychiatriques des hôpitaux 93, coordonnateurs des conseils locaux en santé mentale et ateliers santé ville, association (RIVE..) et partenaires pour l’édition 2017 : Délégation territoriale 93 de l’agence régionale de santé, Pôle Emploi. Cap emploi 93, Iris messidor, Centre de réadaptation professionnelle d’Aubervilliers, MDPH 93, SAMETH 93.

Contacts 
unafam 93
communication(at)epsve.fr 

Création : 10.04.2017
Mise à jour : 10.04.2017

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