La réforme des soins sans consentement 5 ans après : regards croisés terrain et recherche
Sophie Albert, directrice générale de l’EPS Ville-Evrard, évoque les enjeux de la recherche en établissement de santé et les liens qui unissent Ville-Evrard avec l’université. Livia Velpry, sociologue (Cermes3 – Université Paris 8 - EPS Ville-Evrard), souligne que cette journée manifeste une nouvelle fois combien l’EPS Ville-Evrard s’engage pour développer la recherche en sciences sociales sur la psychiatrie au sein même de l’établissement. Elle présente aussi le Collectif Contrast, qui étudie les régulations contemporaines du consentement et de la contrainte dans les pratiques de soin en santé mentale.. Ana Marques, sociologue, EPS Ville-Evrard, précise que cette journée a un double objectif de présenter les ’études menées au sein de plusieurs secteurs de l’établissement, depuis la mise en application de la loi du 5 juillet 2011, et de les mettre en perspective avec d’autres études conduites sur le plan régional, national ou international, par des professionnels du soin, du droit ou des sciences humaines et sociales, ainsi que par des familles et des usagers. . Le Dr Laurent Vassal, président de la CME, EPS Ville-Evrard, signale d’emblée les imprécisions de cette loi, qui selon lui complexifient les pratiques : le soin sans consentement doit ainsi être établi « sans contrainte », et même l’isolement et la contention sont censés être des « décisions », non des prescriptions. Il évoque également le rayonnement des travaux produits par les sociologues de l’établissement.
Chiffres : comment quantifier la contrainte ?
Retour sur une analyse des hospitalisations sans consentement à l’EPS Ville-Evrard
Livia Velpry présente les résultats de l’étude réalisée avec Ana Marques au sein de l’établissement sur les mesures d’hospitalisation dans consentement entre 2010 et 2012, donc avant et après l’application de la réforme législative, à partir des données remontées au DIM.
Si la proportion des admissions en hospitalisation sans consentement à Ville-Evrard est stable entre 2010 et 2012 (à 36 %, contre 13 % sur le plan national), le nombre des admissions en hospitalisation est en augmentation (de 5 284 à 5 491) et l’établissement enregistre ainsi 157 hospitalisations sans consentement de plus en 2012 qu’en 2010. Cette augmentation concerne surtout les soins à la demande d’un tiers (SDT), et parmi celles-ci, principalement les hospitalisations en urgence. Le nombre de mesures d’hospitalisations d’office est au contraire en diminution. La proportion d’hospitalisation sans consentement parmi l’ensemble des admissions en hospitalisation varie de 30 à 50 % selon les secteurs, sans corrélation claire avec d’autres variables d’activité (durée moyenne de séjour, population desservie, file active…) En outre, pour un même secteur cette proportion varie fortement dans le temps.
Un patient est admis en moyenne près de deux fois par an. 60 % des patients sont admis une seule fois. 10 % d’entre eux le sont 4 fois et plus. Ils restent en moyenne moins de quinze jours à l’hôpital par admission. Parmi l’ensemble des patients hospitalisés dans l’année, 57 % des patients n’ont été admis qu’en hospitalisation libre ; 34 % l’ont été au moins une fois en SDT ; et 10 % (principalement des hommes jeunes) au moins une fois en SDRE (soins à la demande d’un représentant de l’Etat).
Les soins sans consentement 5 ans après la loi du 5 juillet 2011 : données nationales
Magali Coldefy, géographe, maître de recherche, IRDES, présente les données nationales sur les soins sans consentement depuis 2012, telles qu’issues des établissements de santé et du ministère de la Justice.
Le nombre de personnes concernées par des soins sans consentement est en augmentation de 15 % de 2012 à 2015, contre une augmentation de 5 % de la file active suivie en psychiatrie. Cette augmentation plus importante des SSC par rapport à l’hospitalisation libre est en partie liée au fait que les programmes de soins ambulatoires et à temps partiel sans consentement peuvent s’étendre sur plusieurs années. Toutefois le nombre de personnes hospitalisées à temps plein sans consentement (80 000 personnes en 2015) est également en augmentation de 13 % par rapport à 2012.
Avant 2011, les SSC se répartissaient entre 80 % de SDT et 20 % hospitalisation d’office. Ils se répartissent en 2015 en 65 % de SDT, 21 % de soins en cas de péril imminent (SPI) et 18 % de SDRE.
Entre 2012 et 2015, le nombre de SPI passe de 8 000 patients en 2012 à près de 20 000 patients en 2015. Le nombre de SDT reste cependant stable, ce qui tend à limiter une explication par le désengagement des tiers. Le nombre de SDRE augmente de 11 %. 63 % des personnes admises en SPI sont en revanche passées par les urgences, contre 53 % pour les SDT : l’explication à la hausse des SPI semble donc à chercher ici. Les admissions en SPI sont d’ailleurs souvent levées à l’arrivée des patients dans l’établissement.
Les patients admis en SPI présentent par ailleurs des caractéristiques de diagnostic similaires à celles des patients admis en SDT, avec 40 % de patients souffrant de troubles psychotiques (principalement schizophréniques) et une majorité d’hommes, même si les troubles de la personnalité et les troubles addictifs sont légèrement plus nombreux en SPI.
37 000 personnes ont été concernées par programmes de soins (ambulatoires ou à temps partiel sans consentement) en 2015, soit 40 % des personnes en SSC (contre 35 % en 2012). Ces programmes sont principalement mis en place pour des SDRE, car les SDT rendent plus difficile de faire intervenir les forces de l’ordre pour faire venir le patient à sa consultation. Bien qu’ils aient accès à une variété et un nombre de soins supérieur aux personnes hospitalisées avec ou sans consentement, les patients en programmes de soins connaissent également des durées d’hospitalisation plus longues, avec 70 jours d’hospitalisation en moyenne dans l’année, dont 61 jours sans consentement.
Les disparités territoriales perdurent à l’identique depuis la loi, que ce soit en taux de prise en charge par département, en part des SPI (de moins de 7 % dans certains départements à 40 % dans d’autres), en recours aux programmes de soins (qui varient de 1 à 6 selon les départements), ou en part des saisines des juges des libertés et de la détention (JLD) qui aboutissent à une mainlevée.
Les programmes de sons : quelles contraintes ?
Les soins sans consentement en ambulatoire, à propos de l’enquête en Ile-de-France
Gilles Vidon, psychiatre, chef de pôle, hôpitaux de St Maurice, présente les résultats d’une étude menée avec l’aide de l’ARS Ile-de-France sur 1 111 patients en programmes de soin en 2013 dans 148 secteurs d’Ile-de-France.
Les secteurs utilisent les programmes de soins à 94 % en Ile-de-France. En moyenne, 10 programmes de soins sont menés par secteur (6 en SDT ; 4 en SDRE). Malgré la relative homogénéité des patients en Ile-de-France, certains secteurs n’en mènent toutefois que 3, quand ils sont 80 à Sainte-Anne. 5 secteurs ne les pratiquent pas. Cette diversité ne dépend pas des moyens des moyens des différents secteurs, mais de leur idéologie et de leur familiarité avec ces programmes. Le psychiatre est également davantage responsabilisé dans les programmes de soins, ce qui explique probablement la réticence de certains à les mettre en œuvre.
Seuls 20 % des patients admis en SDRE et 7 % des patients admis en SDT suivent un programme de soins. Il s’agit généralement de patients schizophrènes, qui vivent seuls et sans activité. Ces programmes sont particulièrement indiqués aux patients présentant un trouble du comportement délirant avec passage à l’acte ; un déni de la maladie ; et plusieurs épisodes similaires dans les antécédents avec interruption du suivi et du traitement. C’est ce qui explique que des réhospitalisations aient été nécessaires pour 20 % de ces malades.
Les programme de soins permettent une amélioration nette de la situation clinique et de la dangerosité (pour soi et pour autrui) des malades, mais les comparaisons anglo-saxonnes tendent à montrer que les résultats des programmes de soins ne sont meilleurs que ceux des hospitalisations que s’ils sont vraiment intensifs.
Les programme de soins en Ile-de-France prévoient généralement des consultations psychiatriques, des consultations infirmières (47 %), des visites à domicile (22,4 %), un accueil pour traitement (56 %), des traitements de retard (66 %), des activités thérapeutiques (23 %). Cette diversité des prises en charge est presque unique au monde. Le dispositif de la sectorisation y est particulièrement adapté.
La durée moyenne des programmes de soins est de 12 mois pour les SDT et SPI, et de 22 mois pour les SDRE.
Une contrainte floue : l’expérience de patients suivis en soins ambulatoires sans consentement
Stefan Sjostrom, sociologue, Université d’Umeå, Suède, rappelle que les programmes de soin (en anglais « out patient commitment ») ont été introduits en Norvège en 1961, aux Etats-Unis en 1980, et en Suède en 2008.
Ils présentent l’avantage d’être moins restrictifs que l’hospitalisation pour le patient, tout en évitant les risques (y compris pour le voisinage) d’une absence de traitement résultant du déni de la maladie. En revanche, ils risquent d’entraîner une augmentation de la population prise en charge et d’intégrer une coercition dans la vie quotidienne des patients hors de l’hôpital.
Ils ne sont possibles en Suède qu’après une hospitalisation, alors qu’ils peuvent être prescrits immédiatement en Norvège ou en Nouvelle-Zélande. Un psychiatre hospitalier doit proposer la démarche, qui devra ensuite être approuvée par un tribunal administratif.
En Suède, les soins ambulatoires sans consentement concernent en moyenne des patients de 47 ans, souffrant à 84 % de psychoses. La proportion de femmes (49 %) est supérieure qu’en France.
Les entretiens qualitatifs d’une heure menés par Stefan Sjostrom avec certains patients en programmes de soins en Suède révèlent qu’ils sont généralement indifférents au fait d’être traités dans ce cadre plutôt que dans un autre. Il faut dire que, si certains de ces patients vivent dans des appartements, ils sont également nombreux à vivre dans des institutions médicalisées, relativement similaires à des hôpitaux – ce dont ils ne se plaignent pas. Outre les effets secondaires des traitements, les aspects négatifs qu’ils mentionnent (l’impossibilité de travailler, de voyager hors de la ville, de recevoir de la visite) ne relèvent souvent pas de contraintes légales incluses à ces programmes : sans doute s’agit-il de contraintes recommandées par les personnels soignants.
Ils mentionnent également des aspects positifs : les relations avec le personnel, la possibilité d’être aidé, le meilleur remboursement des traitements. Ils jugent souvent les programmes de soins comme une alternative préférable à l’hôpital, ce qui montre une relative méconnaissance de leurs droits. Ils sont en effet admis à ces programmes dès lors que l’hospitalisation est jugée inadaptée : la véritable alternative à ces programmes serait donc pour eux l’absence de soins sans consentement hors de l’hôpital.
Une particularité du système suédois est qu’il n’accorde aucun pouvoir coercitif aux psychiatres dans le cadre de ces programmes. La réhospitalisation ne peut être imposée qu’en cas de détérioration qui entraîne un nouveau besoin de soins. D’une manière générale, les patients déclarent pourtant se traiter, soit par choix, soit par peur d’être réhospitalisés, ce qui révèle à nouveau une méconnaissance de leurs droits.
Les programmes de soins : contraindre à consentir ?
Ana Marques présente les résultats d’une enquête exploratoire menée pendant 4 mois auprès de 5 patients en programmes de soins à Ville-Evrard, qui ont été rencontrés dans le cadre de leur consultation en CMP.
La nécessité d’obtenir le consentement des patients est de plus en plus mise en avant dans les lois, dans les recommandations et dans la pratique de soins. Cependant, des aspects contraignants font partie du quotidien des professionnels en psychiatrie et s’articulent, plutôt qu’ils ne s’opposent, à la recherche du consentement. Les programmes de soins en sont un exemple frappant. Alors que le patient est sous le statut de soins sans consentement, la loi prévoit qu’aucune contrainte n’est possible en France dans le cadre des programmes de soin. En cas de non-respect du programme, la seule sanction possible est la réhospitalisation. En pratique, les équipes soignantes commencent souvent par négocier avec le patient, lui téléphoner ou écrire, afin de l’inviter à reprendre les soins prévus et de lui rappeler le cadre légal. Seul l’un des patients rencontrés a fait l’objet d’une réhospitalisation suite à une rupture de soins, dans la période de l’étude. En général, si le patient ne s’oppose pas aux propositions du médecin, les consultations en soin libre ou en soin sans consentement ne présentent aucune différence à l’observateur.
Les programmes de soins sont souvent évoqués comme une contrainte permettant d’aboutir à un consentement, une adhésion aux soins qui pourraient ainsi se poursuivre en dehors d’une obligation légale. Cependant, les professionnels ne sont pas toujours d’accord sur les patients qui auraient besoin de cette contrainte pour consentir in fine. Et dans certains cas, c’est l’effet contraire qui peut être observé. Ainsi, pour un patient, l’équipe du CMP n’était pas convaincue de l’utilité du programme de soins, qu’elle trouvait nuire à l’alliance thérapeutique : la contrainte supplémentaire rend le patient davantage méfiant. Le programme était cependant maintenu de crainte qu’un problème survienne, ce qui pose la question de la fin des programmes de soins.
Droit des usagers : quelle matérialité ?
CDSP : des textes à la réalité du terrain
Alain Monnier, UNAFAM, présente les résultats d’une enquête menée auprès des représentants de l’UNAFAM siégeant dans les commissions départementales de soins psychiatriques (CDSP). Sur 95 départements, 92 réponses ont été obtenues.
La loi du 5 juillet 2011 prévoit la constitution par arrêté préfectoral d’au moins une CDSP par département pour examiner « la situation des personnes admises en soins psychiatriques sans consentement au regard du respect des libertés individuelles et de la dignité des personnes ».
Dans 10 départements, la CDSP n’a jamais été constituée ou ne se réunit jamais. L’ARS refuse parfois de réunir une CDSP en l’absence de psychiatre alors qu’un médecin généraliste suffit.
Les CDSP doivent se réunir au moins une fois par trimestre pour examiner la situation des patients en SPI ou en SSC depuis plus d’un an, hospitalisés ou non. Elles visitent deux fois par an les établissements assurant des soins sans consentement.
Sur 9 mois d’observation, 40 CDSP ont tenu au moins 5 sessions (y compris les visites), ce qui témoigne d’un bon fonctionnement. Dans le Nord Pas de Calais, la CDSP d’un département a tenu 20 sessions. Un peu plus de 10 CDSP ne se sont réunies que deux fois. Rares sont en fait les CDSP qui réalisent deux visites par an des établissements.
La CDSP se compose normalement de 6 membres : 2 psychiatres dont 1 libéral, un magistrat, un représentant des personnes malades, un représentant des personnes atteintes de troubles mentaux et un médecin généraliste. Le quorum est toutefois de 3 membres dont 1 médecin.
Plus de 30 DSP comprennent 6 membres nommés ; une trentaine comprennent 5 membres ; 15 comprennent 4 membres et 8 comprennent 3 membres et moins. Au total, 16 % des sièges (20 % des sièges de psychiatres ; 16 % des sièges de généralistes : 32 % des sièges de représentants des malades) sont non pourvus.
Les rapports d’activité produits par les CDSP se réduisent généralement à 4 pages dont l’en-tête, car ils ne suscitent aucune réaction de la part des autorités.
D’autres acteurs que les CDSP sont autorisés à visiter les hôpitaux psychiatriques, mais les CDSP associent des compétences diverses, permettent des visites plus régulières que le CGLPL, et sont la seule instance à comprendre des représentants des patients et des familles.
Le Dr Jean-Paul Tachon, président de la CDSP de Paris, souligne que, pour se faire connaître, les CDSP doivent envoyer des observations aux médecins et administratifs des établissements qu’elles visitent, ce qui sert aux patients, mais aussi aux médecins, dont les actions de soin ne pourront ainsi pas être levées par les avocats. Elles ont accès aux dossiers des patients.
Les restrictions de la liberté d’aller et venir en gériatrie : quel encadrement ?
Clémence Lacourt, juriste, responsable des relations institutionnelles, FNAQPA, rappelle que la loi de l’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015 a réaffirmé la liberté d’aller et venir comme l’un des droits des usagers des maisons de retraite. En pratique, toutefois, cette liberté est limitée par les établissements pour des raisons de santé, de contraintes de vie collective et surtout de sécurité : car les établissements ont la responsabilité d’assurer la sécurité des usagers hébergés, même si cette responsabilité ne porte que sur les moyens mis en œuvre. La jurisprudence a en effet établi qu’une obligation de résultat serait inconciliable avec le principe de la liberté d’aller et venir des usagers. La loi du 28 décembre 2015 a rendu possible d’annexer au contrat de séjour une liste des restrictions appliquées, que les personnes hébergées peuvent ainsi approuver.
Les juges peuvent néanmoins sanctionner des mesures trop restrictives de la liberté d’aller et venir, par exemple une contention physique répétée et non justifiée. La Haute Autorité de Santé a recommandé en 2000 le renouvellement toutes les 24 heures d’une prescription médicale pour justifier le recours à la contention. La conférence de consensus de 2004 a ajouté que le bénéfice de toute restriction devait l’emporter sur les risques. Ces recommandations de bonne pratique font l’objet d’un contrôle du juge et peuvent être contractuellement consenties, mais ne sont toujours pas encadrées légalement.
Des courriers et des cases à cocher
Ana Marques indique que certains écrits destinés par la loi à garantir le respect des droits des personnes pourront également matérialiser la contrainte diffuse dans les soins sans consentement : le certificat mensuel, le programme de soins, la demande de modification de modalité de prise en charge, les courriers d’information. Ils rendent également présent la figure du juge, non comme clui qui vient protéger leurs libertés, mais celui à qui on doit prouver qu’on a bien respecté le programme de soins. La judiciarisation : quelles relations entre la psychiatrie et la justice ?
Le Dr Jean-Paul Tachon, EPS Ville-Evrard, rappelle qu’un conflit récurrent oppose les médecins, qui souhaitent « premièrement, ne pas nuire » et les avocats, qui envisagent souvent les soins comme une « contrainte » dont il faudrait libérer les personnes.
Est-on un justiciable à part entière quand on est hospitalisé sous contrainte ?
Maître Corinne Vaillant, avocat à la Cour, défend les personnes hospitalisées sans consentement depuis 30 ans. Elle a demandé au Conseil constitutionnel que la privation de liberté des malades mentaux soit contrôlée judiciairement, et qu’ils soient ainsi réintégrés au droit commun : celui de la convention européenne des droits de l’homme. La mise en place de cette procédure a été complexe, mais elle représente une avancée considérable. Le soin sans consentement est une exception et doit le rester.
Le travail réalisé dans les hôpitaux n’est toutefois pas remis en question. En 2015, 86 % de maintiens en soins et 14 % de sorties du système ont été accordés, dont 8 % seulement par décision du juge.
Des sanctions sont possibles lorsqu’un patient hospitalisé en service fermé n’a pas été informé de ses droits. En cas de convocation au tribunal, l’hôpital doit normalement transmettre au patient, trois à quatre jours avant l’audience, la convocation qu’il aura reçu du greffe. Trop souvent, les patients auditionnés ne l’ont jamais reçue, ou l’ont reçue extrêmement tardivement. Certains hôpitaux déclarent systématiquement les personnes convoquées non auditionnables. Cette décision doit être motivée, mais elle ne l’est pas toujours. Un motif fréquemment invoqué est le risque de fugue.
Les établissements ne peuvent pas s’opposer à la rencontre d’un patient avec un avocat. Les patients peuvent également contester la décision du juge, mais l’hospitalisation sous la contrainte est le seul cas où ce recours doit être motivé : les malades mentaux ne sont donc toujours pas des justiciables comme les autres.
En réponse au Dr Jean-Paul Tachon, qui souligne que les soins sans consentement sont souvent levés par le juge pour des motifs de forme plutôt que de fond, Maître Corinne Vaillant précise qu’un délai de 6 heures est alors prévu avant la remise en liberté, ce qui permet d’exercer un recours et de prendre une nouvelle mesure dans des conditions légales. Par ailleurs, les vices de forme répondent généralement à des principes de droit international. Des questions de fond motivent souvent la sortie également. L’absence du curateur à l’audience par exemple est une question de fond. Enfin, si le patient souhaite rester hospitalisé, Maître Corinne Vaillant s’abstient de soulever d’éventuels vices de forme, et généralement de juger elle-même de l’intérêt du patient. Le Dr Jean-Paul Tachon ajoute toutefois qu’un patient désireux de rester à l’hôpital est souvent un patient qui doit en sortir.
La loi du 5 juillet 2011 : alliance et/ou défiance – le psychiatre, le juge et l’avocat
Ferdaouss Hasbi-Levi, psychiatre, EPS Ville-Evrard, juge cette loi viciée par une injonction contradictoire : elle favorise le respect du droit des patients et introduit le soin sans consentement.
Elle rend également la relation au patient plus complexe, en introduisant un nouvel interlocuteur : le juge. Le patient tend à comprendre que c’est lui, et non la procédure de soins sans consentement, qui est mis en examen.
Confier à un patient un certificat rempli d’informations délicates le concernant n’est pas toujours opportun à son arrivée. Au tribunal également, l’intimité du patient et le secret médical sont malmenés. La convocation est reçue très tard, parfois le lendemain de l’audience pour les familles, parfois le jour même pour les services. Les audiences se tiennent désormais à Ville-Evrard pour éviter les problèmes liés au transport des patients.
Certains avocats sont bien idéologues : une avocate a par exemple déclaré à Ferdaouss Hasbi-Levi qu’un psychiatre n’avait pas à s’opposer à la volonté d’un patient de se suicider. Le droit est néanmoins un cadre indispensable de l’exercice du soin.
LE juge et LE médecin : perceptions croisées de la loi et du soin
Félix Denis, Ivan Garrec et Marlène Monegat, étudiants du master SPPS de l’EHESS, présentent les résultats d’une enquête menée à Ville-Evrard et au tribunal, sous forme d’entretiens semi-directifs avec 1 greffière, 2 JLD ; 3 avocats de personnes hospitalisées, 3 secrétaires médicales ; 6 psychiatres ; 3 membres du comité de rédaction de revues psychiatriques et 1 interne en psychiatrie.
Depuis la loi de 2011, un « cordon administratif » relie en permanence, mais uniquement par l’intermédiaire de documents (certificats médicaux, ordonnances judiciaires), les JLD et les psychiatres. Les secrétaires médicales jouent à cet égard un rôle essentiel.
Les psychiatres s’opposent généralement à ce « tournant sécuritaire », qui bureaucratise et judiciarise davantage leur pratique, en faisant planer une menace quotidienne de procès à leur encontre. Un présupposé récurrent est que la clinique est par essence protectrice du patient.
Les juges estiment également qu’en assurant le respect de la procédure, ils protègent les droits et libertés des patients. Même les juges se méfient pourtant en pratique du droit pur, et prennent souvent en compte la singularité des situations avant d’appliquer la nullité résultant des vices de forme soulevés par les avocats. Un juge a ainsi avoué s’être délibérément abstenu d’appliquer la loi pour une patiente suicidaire. C’est donc davantage l’application de la loi par les JLD que la loi elle-même qui apparaît protectrice des patients. Certains JLD sont davantage formalistes cependant.
Synthèse et discussion
Delphine Moreau, sociologue, IMM/EHESS-HESAV (HES-SO Lausanne), conclut que la mesure de soins ambulatoires sans consentement présente une triple ambiguïté fondamentale.
C’est à la fois une mesure thérapeutique (avec une vigilance particulière dans l’observance des traitements), et une mesure de prévention des troubles de conduite.
C’est une restriction de liberté qui apparaît moindre que dans les hospitalisations sans consentement, mais qui pénètre la vie ordinaire des patients, comme le soulignait Stefan Sjostrom. Or, aucun contrôle judiciaire systématique n’est prévu sur cette restriction de liberté.
Enfin, c’est une contrainte qui ne dit pas son nom. La loi parle de « programme de soins » plutôt que de « soins ambulatoires sans consentement », et elle exclut toute contrainte physique. Toutefois, la menace de réhospitalisation est en soi une contrainte rappelée en permanence aux personnes par la surveillance dont elles font l’objet, quand ce n’est pas de manière plus explicite.
Un autre inconvénient de ces « programmes de soins », comme le faisait remarquer un psychiatre suisse à Delphine Moreau, c’est qu’il n’y a jamais de raison de les arrêter : s’ils échouent, c’est que le patient en a vraiment besoin ; s’ils réussissent, il faut les poursuivre.
Pour pénétrer plus avant ces tensions entre protection légale et protection par le soin, les recherches en sociologie et les recherches en psychiatrie doivent continuer à être croisées
Contributions
Programme de la journée à télécharger
Compte rendu de la journée : société Ubiqus et Ana Marques
Illustration : groupe séquentiel du pôle 93G15
Contacts
EPS Ville-Evrard
Responsable du pôle Cristales
Dr Wanda Yekhlef
Ana Marques
Chargée d'études, recherche et statistiques
Co-organisateurs
Collectif Contrast
Livia Velpry
livia.velpry(at)univ-paris8.fr
Site : http://contrastcollectif.wordpress.com
IRDES
Magali Coldefy
www.irdes.fr
Mise à jour : 22.02.2017