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Trauma : comment s’en sortir ?

Le professeur Marie-Carmen Castillo, psychologue et professeur à l’université Paris 8, retrace d’abord comment la notion de stress post-traumatique (PTSD) s’est développée au XXème siècle par l’étude des névroses de guerre, avant d’être inscrite au DSM-III en 1980 comme une maladie à part entière. Le Docteur Dominique Januel, psychiatre, unité de recherche clinique, pôle 93G03, EPS Ville-Evrard, explique que seul 1 % de la population confrontée à des expériences traumatiques (définies comme la confrontation avec une menace pour son intégrité ou celle d’un tiers) développe des PTSD, au terme de trois phases caractéristiques. Dans la première, aiguë, les capacités de défense sont débordées et laissent progressivement apparaître des réactions inadaptées (sidération, déréalisation, automatisation des comportements, délire). Suit une phase de latence, qui peut rester asymptomatique de quelques semaines jusqu’à plusieurs décennies, avant que le trauma ne revienne à la conscience, accompagné d’une réactualisation répétée des sentiments éprouvés initialement. Outre cette réviviscence, les symptômes du PTSD sont alors une hypervigilance anxieuse et des conduites de repli sur soi, destinées à éviter les situations anxiogènes. Une irritabilité et une intolérance à la frustration peuvent alors se manifester. Dans 80 % des cas, ces troubles sont masqués par une comorbidité (alcoolisme, troubles anxieux, dépressions, etc.).

Place des traumatismes psychiques chez les auteurs de violences collectives

Françoise Sironi, psychologue, psychothérapeute, maître de conférences à l’université Paris 8, est l’une des fondatrices du centre Primo Levi. Elle s’est spécialisée dans l’étude des victimes et des auteurs de violences collectives, et intervient à ce titre auprès de la cour pénale internationale de La Haye, pour laquelle elle a expertisé des auteurs de crimes contre l’humanité comme Douch ou Pascal Simbikangwa. Or, il s’agit alors d’abord de rechercher les expériences traumatiques qui les ont déshumanisés. 

Pathologie spécifique, le traumatisme psychique est en effet également une technique de fabrication de tortionnaires ou de criminels, par la déshumanisation et l’abdication de toute personnalité individuelle. Elle est délibérément employée dans les écoles de formation de l’armée, des services secrets, comme dans les sectes, les formations d’enfants-soldats, etc. Les éléments utilisés lors de ces « formations » sont : la frayeur, l’imprévisibilité des injonctions contradictoires (qui oblige à cesser de penser pour obéir), et la douleur physique (qui entraînera des mécanismes de vengeance) ou psychologique (les humiliations, les transgressions de tabous, etc.). Les Khmers rouges prétendaient ainsi produire des « hommes nouveaux », en imposant à leurs victimes de tuer leurs proches, ce qui les désaffiliait de leurs familles, de leurs villages, etc., pour les affilier au nouveau groupe. Les femmes recrutées à Guantanamo ou en Irak l’ont été sur le critère qu’elles avaient été violées. La désempathie ainsi produite est, avec le clivage (entre la vie privée et la vie de bourreau) et le déni, l’un des traits communs de tous les auteurs de crimes collectifs.

Or, ce qui fait trauma pour les victimes selon Françoise Sironi, c’est avant tout l’intentionnalité malveillante des auteurs de supplices. L’influence intériorisée du tortionnaire, ses paroles, restent logées au cœur du psychisme de la victime comme un poison. La psychothérapie doit alors être ciblée sur ces actes tels qu’ils ont été vécus, bien davantage, par exemple, que sur la personnalité antérieure de la victime. S’il est impossible de réduire les catastrophes naturelles, les traumatismes induits par les humains peuvent ainsi être réduits, au niveau psychologique, mais aussi politique, par la sociothérapie. Des dispositifs sont créés pour que les personnes puissent tuer. Ce sont ces dispositifs qui sont à blâmer plutôt que de supposées « pulsions de mort » présentes chez les personnes, même si l’effet sur l’individu dépendra de son idéologie ou de ses problèmes psychologiques individuels. Des populations entières peuvent être ainsi atteintes de troubles, comme la « traumatophilie » (la recherche du trauma). Les Khmers rouges organisaient des confessions collectives obligatoires, qui ont développé chez nombre de Cambodgiens des tendances auto-accusatrices persistantes. La génération d’Hitler a été éduquée par le châtiment corporel. Cette part blessée, non intégrée, sera projetée pour faire à d’autres ce qui nous a été fait.

Ecriture comme résistance contre la violence

Gilbert Naccache, écrivain, commence par rappeler les multiples traumatismes dont il a été victime. Son père a d’abord été tué dans un bombardement américain en Tunisie, peu de temps avant que ses sœurs soient atteintes. S’ensuivent les répressions de l’occupation française, puis des régimes qui lui succèderont. Lors de l’audition en cours des victimes du régime précédant la révolution de 2011, la question qui revenait sans cesse était : « pourquoi ce traitement nous a-t-il été infligé ? » Dépasser le traumatisme suppose surtout de le comprendre : quelles sont les origines de la violence ?

Pour en finir avec la violence, Gilbert Naccache s’engage dans le militantisme communiste dès l’âge de 15 ans. En tant que militant de l’internationale tunisienne, il a subi la torture à trois reprises. Arrêté une première fois en 1968, libéré en 1970 sous une grâce conditionnelle, il est à nouveau condamné en avril 1974 par suppression de la grâce conditionnelle, sous des motifs fabriqués de toutes pièces. Un jour, un crayon mine lui est parvenu clandestinement : c’est ainsi qu’il a recouvré sa liberté. Sur des paquets de cigarettes récupérés, il en est venu à écrire l’histoire de personnes qui, comme bien d’autres, ne résistaient pas. La littérature suit une logique propre, qui conduit à des conclusions que l’auteur ne prévoit pas. En l’occurrence, elle le sort mentalement de prison, le guérit de son ancien manichéisme, de son hostilité à l’égard de ses anciens camarades, mais aussi de sa rancune à l’égard des hommes du pouvoir qui l’avaient conduit en prison : aucun d’eux n’était libre ni capable de réflexion autonome. Ses tortionnaires étaient les vrais prisonniers. Une fois le système intégré, ils ne pouvaient pas agir autrement qu’ils l’ont fait. Gilbert Naccache n’était donc plus en conflit avec les hommes, mais avec ce système lui-même. 

Sorti de prison, il crée une maison d’édition pour publier son livre, ainsi que ceux quelques autres auteurs. Il avait abandonné l’analyse politique pour la littérature. C’est toutefois la révolution de 2011 qui « liquidera » vraiment tous ses traumatismes. Elle lui permet de voir ses analyses confirmées, de rencontrer de nombreuses personnes, et le convainc que le monde est à une période charnière. Le système capitaliste ancien est bien en train de s’effondrer. 

Cellule d’urgence médico-psychologique

Le Docteur Dalila Rezzoug, cellule d’urgence médico-psychologique de Seine-Saint-Denis (CUMP 93), rappelle que les CUMP ont été créées en 1995, dans le contexte de la première vague d’attentats qui ont frappé Paris. Elles opèrent dorénavant dans le cadre des circulaires de 2014. Elles interviennent en lien avec l’EPRUS et sont constituées de volontaires spécifiquement formés. Elles s’organisent dans les régions, mais des coordinations interrégionales et nationales sont également prévues. Deux professionnels sont d’astreinte 24 heures sur 24 pour animer le réseau de volontaires au sein de chaque CUMP. 

Elles proposent des soins médico-psychologiques aux victimes et témoins d’événements collectifs à fort impact psychologique, potentiellement traumatiques. Elles travaillent en intervention immédiate durant un mois, avant de préparer les relais. A Nice, les CUMP sont intervenues aux côtés de la pédopsychiatrie, mais les relais ont été difficiles à trouver, toutes les ressources ayant déjà été mobilisées. Les CUMP prennent également en charge les sauveteurs et soignants. Elles interviennent également en aéroport au retour de personnes exposées à des guerres, catastrophes naturelles, etc.

En novembre 2015, de multiples lieux d’accueil ont été mis en place, dans les lieux d’hospitalisation et d’accueil définis dans le cadre des plans blancs hospitaliers. Plus de 500 consultations par jour ont été réalisées pendant plusieurs jours. 

L’intervention de crise a d’abord un objectif d’écoute et de contenance, puis d’orientation vers des soins structurés adaptés : il s’agit d’une première rencontre d’emblée inscrite dans une temporalité ultérieure. Des réévaluations téléphoniques ultérieures sont au minimum proposées. Un support d’information minimal est transmis pour être conservé. Les enfants, adolescents et bébés confrontés à l’effroi peuvent présenter des troubles aigus (choc, ASD, symptômes dissociatifs) qui ne préjugent pas d’un stress post-traumatique, comme inversement une absence de trouble n’implique pas l’apparition de ce stress ultérieurement. C’est pourquoi le suivi ultérieur est indispensable. 

Le critère A du DSM-5 définit le trauma comme l’exposition à une violence (ou menace de violence) physique ou sexuelle, comme victime directe, témoin, ou proche d’une victime. Les soignants et les enfants des victimes, par exemple, y sont donc exposés à part entière. L’expérience de l’effroi, qui est possible très précocement chez l’enfant, peut notamment détruire les « théories sociales infantiles » (Bailly) construites par l’enfant. La réaction d’effroi des adultes y contribue également. L’expérience du deuil d’un parent est toujours traumatique chez l’enfant.

Le risque d’apparition de troubles chroniques dépendra alors de la durée et de l’intensité de l’exposition ; de l’intentionnalité ou non de la violence subie ; des blessures ; de l’expérience de deuils ; des antécédents d’événements traumatiques ou psychiatriques ; de la psychopathologie parentale, du fonctionnement familial ; de l’isolement social. 

A Nice, plus de 30 000 personnes sont considérées avoir été impliquées. Les besoins en suivi pédopsychiatrique, notamment, sont donc considérables. Des dispositifs humanitaires, inspirés du contexte de guerre, peuvent alors être employés. On favorisera chez l’enfant l’expression symbolique dans un premier temps, avec et sans les parents, afin notamment de lui montrer que son ressenti est partagé, et d’aider les parents à le comprendre. Les parents seront encouragés à remettre en place des routines, et à limiter l’exposition à la télévision, aux conversations d’adulte, etc. L’exposition des victimes aux médias doit être évitée autant que possible. La communication des psychologues sollicités par les médias est également à encadrer. 

Présentation du protocole Paris MEM : Paris mémoire vive

Le professeur Bruno Millet, hôpital Pitié-Salpêtrière, explique que le MEM est une technique de prise en charge du stress post-traumatique élaborée par un Canadien, qui a offert ses services à la France suite aux attentats de Paris. 

Face à un traumatisme, les structures amygdaliennes proches des structures hippocampiques qui stockent le souvenir seraient particulièrement mobilisées pour préserver de l’agression : c’est ce qui expliquerait la mémoire que nous avons des événements marquants émotionnellement. A chaque remémoration, il est toutefois possible d’influer sur la charge émotionnelle associée au souvenir, en l’augmentant (par un accompagnement musical, etc.), ou en la diminuant : c’est le principe du « blocage de la reconsolidation mnésique », sur lequel repose le MEM. Il vise ainsi à dissocier le souvenir de sa charge émotionnelle, en associant une ré-évocation à un traitement médicamenteux (le propranolol) destiné à en diminuer la charge émotionnelle : il prévient la synthèse protéique requise pour reconsolider un souvenir émotionnel 

Le patient prend le propranolol (1 milligramme par kilogramme) une heure avant son premier rendez-vous, durant lequel il écrira son script traumatisant, et l’énoncera à haute voix. Le traitement se déroule normalement en six séances, à six semaines d’intervalle. 

L’efficacité de ce traitement est actuellement comparée à celle des traitements habituels (psychothérapie de soutien, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, EMDR, thérapies comportementales et cognitives, etc.). Les résultats sont spectaculaires, même chez les personnes prises en charge depuis plus de dix ans. 

Cette étude financée internationalement est menée dans 13 centres de l’APHP, mais aussi dans d’autres centres (2 à Nice, et 1 à Rouen, Lille, et Poitiers). 90 patients sont concernés : des personnes ayant subi les attentats, mais aussi des viols, etc. Les personnes intéressées peuvent appeler le 01 42 16 15 35. Cette recherche est également une occasion de mieux comprendre le fonctionnement psychique et cérébral. 

Nouvelles approches du traitement des traumatismes psychiques

Le Docteur Khalid Kalalou et Emmanuel Faraüs, respectivement psychiatre et psychologue au pôle 93G03, EPS Ville-Evrard, commencent par distinguer les traumas simples (seuls retenus dans le DSM-5) qui résultent de l’exposition à un événement unique ; et les traumas complexes, autrement appelés « troubles de stress extrême non encore complètement spécifié » (DESNOS en anglais), qui résultent de traumatismes sévères et répétés dans des conditions qui rendent impossible toute fuite, particulièrement dans l’enfance. Ils se caractérisent par des perturbations de la régulation émotionnelle et des impulsions ; de l’attention et de la conscience ; de l’image de soi ; de la relation aux autres ; du système de croyances ; et par des symptômes corporels. 

L’idée d’un traitement en trois phases, initialement élaborée par Janet, fait l’objet d’un consensus international dans le traitement des traumas complexes, et le recours à une grande diversité d’approches s’y avère particulièrement utile. 

La première phase permet d’installer un climat de sécurité et d’évaluer les ressources personnelles et le style d’attachement du patient. Il s’agit de stabiliser les symptômes du patient ; d’accroître son désir de changement ; et de construire avec lui une alliance thérapeutique. Les thérapies utilisées sont alors les TCC, les thérapies systémiques (très utiles pour explorer les dynamiques relationnelles), la méditation pour certains patients, et la méthode de la figure parentale idéale (du docteur Daniel P. Brown, de Boston), que présente Federico Parra, psychologue libéral. Inspirée des observations éthologiques des animaux, cette thérapie repose sur la « théorie de l’attachement » de John Bowlby, selon laquelle les hommes disposent d’une structure d’attachement innée pour des figures protectrices, structure qui se développe normalement dans des interactions comme le rituel d’apaisement, par lequel les parents apprennent progressivement à l’enfant à réguler lui-même ses émotions. Cette thérapie consiste alors à s’imaginer enfant avec des parents différents, qui auraient été capables de fournir les structures d’attachement dont l’enfant réel aurait manqué. Parce qu’elle ne fait pas intervenir la mémoire, cette méthode évite les risques de retraumatisation. D’une durée de sept semaines, elle permet généralement la restauration d’une confiance en soi et en autrui, et ainsi une diminution importante des symptômes de trauma complexe, avec des résultats stables huit mois plus tard.

La deuxième phase du traitement des traumas complexes vise à améliorer le contrôle de la mémoire traumatique et de la détresse émotionnelle du patient. Il faut lui faire comprendre que ses conduites d’évitement automatiques sont responsables de la dysrégulation émotionnelle, dans la mesure où elles perpétuent l’association d’émotions négatives au traumatisme. Il s’agit de leur substituer une régulation réfléchie, grâce à l’association d’une exposition au trauma et d’une thérapie cognitive (CPT : cognitive processing therapy) visant à identifier et infirmer les conclusions erronées du schéma traumatique. L’objectif est de faire comprendre que le trauma est passé, et qu’il peut être remémoré sans être revécu. 

L’EMDR, que présente Emmanuel Faraüs, a également prouvé son efficacité. Fondée sur le modèle du traitement adaptatif de l’information et sur la théorie du trouble de la dissociation structurelle de la personnalité (d’abord émise par Pierre Janet à la fin du XIXème siècle), elle suppose que les souvenirs traumatiques sont dissociés des autres afin d’être oubliés au quotidien, ce qui entraîne toutefois une dissociation de la personnalité plus ou moins grave. Le traitement consistera à faire parler entre elles les parties dissociatives pour les faire se comprendre. 

Les thérapies suivantes semblent également prometteuses pour cette deuxième phase de la prise en charge :

- l’EFTT (Emotion Focused Therapy for complex Trauma), qui vise à réduire l’évitement, en discutant par exemple en imagination avec l’agresseur ;

- l’IRT (Imagery Rehearsal Therapy), qui consiste à se remémorer particulièrement de cauchemars et s’avère particulièrement efficace pour les éviter ;

- la NET (Narrative Exposure Therapy), qui repose sur la recontextualisation narrative et s’avère particulièrement efficace dans le traitement des traumatismes collectifs liés à des événements politiques et culturels. 

La troisième phase du traitement des traumas complexes vise à consolider les acquis des phases précédentes, en les appliquant au quotidien et à l’avenir. Le patient y améliore son estime de soi et réaffirme sa distinction à l’égard des autres. Les symptômes sont remplacés par des questionnements du patient sur sa sexualité, la parentalité, l’existence, la religion, etc. Le patient doit également être accompagné vers la fin de la thérapie. 

Pour le traitement des traumas simples, l’exposition prolongée et l’EMDR ont également fait leurs preuves. Le pôle 93G03 utilise le protocole Paris MEM en première intention et l’EMDR en seconde intention, lorsque le patient le préfère. 

Contributions

Programme de la journée à télécharger
Compte rendu de la journée : société Ubiqus
Illustration : Clémence Isaac

Contacts 

Dr Dominique Januel, psychiatre
Unité de recherche clinique, pôle 93G03
urcve1(at)gmail.com
Tél. 01 43 09 32 32

Co-organisateur
Pr Marie-Carmen Castillo
Psychologue et professeur à l'Université Paris 8
Laboratoire de psychopathologie et neuropsychologie

Création : 07.02.2017
Mise à jour : 20.03.2017

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