Infirmière de recherche en soins infirmiers en psychiatrie, un métier, une passion
L’EPS Ville-Evrard est le premier établissement spécialisés d’Ile-de-France à avoir lancé un protocole de recherche en soins infirmiers en psychiatrie, une initiative institutionnelle inscrite dans son projet d’établissement. Portée par l’Unité de Recherche Clinique (URC) de l’établissement que dirige le Dr Dominique Januel, cette étude s’appuie sur l’engagement et la détermination de plusieurs acteurs : la direction des soins, une équipe d’infirmières des pôles G02, G03, et G09 de Ville-Evrard et des pôles G01, G02, G03 et G04 du CH les Murets et l’Université Paris 8. Interview de Palmyre Schenin-King Andrianisaina, infirmière, assistante de recherche clinique à l’origine du premier protocole en cours…
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Comment vous est venue l’envie de lancer un protocole de recherche en soins infirmiers à Ville-Evrard?
J’ai intégré l’URC de l’EPS Ville-Evrard fin 2010. Tout en gardant un pied au CMP où j’animais un atelier sport pour les patients, j’ai été formée au sein de l’URC à l’utilisation des machines et aux différentes thérapies notamment la thérapie par remédiation cognitive (CRT) qui avait fait l’objet d’un protocole de recherche en 2009. J’ai eu envie d’approfondir mes compétences dans ce domaine en suivant diverses formations externes. En parallèle, j’ai passé un diplôme universitaire de soins en psychiatrie. C’est au cours de la 2è Journée AP-HP de la recherche infirmière et paramédicale, en 2012, que m’est venue l’envie de lancer un protocole de recherche en soins infirmiers à l’EPS VE. J’ai alors passé et réussi en 2013 mon diplôme universitaire d’assistante de recherche clinique à Paris VI (DIU). La démarche s’inscrivait pleinement dans la dynamique institutionnelle de l’établissement. Le Dr Januel et Mme Chastagnol, coordonnatrice générale directrice des soins, ont donc donné leur accord et m’ont confié le pilotage du protocole. Nous avons fait le choix d’un protocole multicentrique et avons sollicité le CH les Murets à la Queue en Brie (Val-de-Marne) qui s’est lancé dans l’aventure avec nous.
Le but était d’élaborer un protocole de recherche infirmière appliqué par des infirmières ne modifiant pas la prise en charge dans les unités d’hospitalisation et respectant la législation de la recherche.
Comment le protocole de recherche a-t-il été mis en place ?
Le processus a duré deux ans. Nous avons fédéré un comité de pilotage regroupant des acteurs des deux établissements, l’URC et la directrice de l’UFR Paris 8. Après avoir travaillé deux bibliographies, le groupe de pilotage a opté pour le sujet portant sur « l’accueil des familles en psychiatrie ». 11 infirmières représentant 11 unités d’hospitalisation adultes des 2 établissements se sont portées volontaires pour s’impliquer dans l’étude à l’issue d’un appel d’offre des deux directions des soins. Très vite, l’Unité de Recherche Clinique et la Formation Continue ont travaillé un programme de formation de cette équipe à la recherche, désormais intégré dans le plan de formation de l’établissement. L’équipe infirmière a fait des présentations bibliographiques pour rédiger le protocole avec l’aide méthodologique de l’URC. Restait à obtenir l’autorisation de la direction de Ville-Evrard, promotrice de l’étude, à assurer le protocole puis obtenir l’autorisation favorable de l’Agence Nationale de Sécurité des Médicaments et des produits de santé (ANSM) et l’avis favorable du Comité de Protection des Personnes conformément aux obligations légales. Le projet a démarré officiellement en septembre 2015 et devrait s’achever en juin 2018.
Quel est le niveau d’implication des infirmières de recherche clinique engagées dans le protocole ?
Elles sont engagées à tous les niveaux. Elles ont défini l’objectif principal du protocole: il s’agit d’évaluer la souffrance des familles qui vivent l’hospitalisation en psychiatrie d’un parent ou d’un proche. Elles ont rédigé le guide des 2 entretiens infirmiers à conduire - 1er entretien durant la semaine de l’hospitalisation du patient ; 2è entretien : à la sortie du patient. Ces entretiens de 25 minutes évaluent le ressenti, la qualité de vie, la vie sociale, l’humeur, les attentes de prise en charge du participant. Ils sont complétés par 3 échelles d’autoévaluation que le participant rempli aussi à 3 mois après l’hospitalisation de son proche : l’échelle CES-D qui évalue la souffrance des familles, l’échelle de Zarit qui évalue le fardeau et l’échelle SF 36 qui évalue la qualité de vie. Ce sont aussi les infirmières qui sensibilisent les familles au protocole de recherche en cours en vérifiant les critères d’inclusion. Lorsque les familles sont incluses dans l’étude, elles doivent signer un consentement éclairé qui est cosigné par le médecin. Ce sont elles qui mènent les entretiens et c’est moi qui saisit les données que je traite avec l’URC et l'Université Paris 8. A ce jour, nous comptabilisons 86 inclusions. Un résultat inférieur à l’objectif, mais néanmoins satisfaisant.
A quels obstacles vous heurtez-vous ?
Les hospitalisations sont moins nombreuses qu’attendues. Certaines familles refusent de s’impliquer. D’autres ne répondent pas aux critères que l’on a révisé pour pouvoir inclure davantage de répondants.
En interne, garder la motivation sur la durée n’est pas facile du fait de la charge de travail, des roulements, d’une faible culture recherche au sein de l’établissement. Seuls 7 centres sur les 11 continuent à inclure ou à s’impliquer (3 à Ville-Evrard et 4 au CH Les Murets). Je pense que la recherche en secteur psychiatrique est plus compliquée qu’en MCO : en psychiatrie, il y a beaucoup d’oralité, les soins occupent une place importante parce qu’on ignore la durée de la maladie mentale, les prises en charge ne se ressemblent pas, il n’existe pas de protocole fixe pour chaque pathologie...
Les infirmières diplômées depuis 2009 sont initiées durant leur cursus de formation à la recherche, mais souvent elles n’ont pas envie de se lancer dans un protocole au sortir de 3 ans d’études. Ou bien elles n’osent pas, pensant que c’est trop dur pour elles, qu’elles ne sont pas assez intelligentes, qu’elles ne sauront pas structurer et écrire un protocole. Elles se dressent des barrières. Quel dommage !
Pourquoi vous parait-il important d’impliquer des infirmières dans des protocoles de recherche clinique ?
L’infirmière peut jouer un rôle proactif déterminant dans la qualité de la prise en charge du patient et de l’accompagnement de son entourage en raison de la place qu’elle occupe auprès du malade. La recherche clinique sert alors à valider un savoir-faire infirmier existant ou à tester une pratique innovante, comme le montrent les diverses études conduites par nos collègues canadiens ou suisses, très avancés en la matière. La démarche n’est pas fondamentalement différente du travail qu’une infirmière fait pour son mémoire de fin d’études ou sur un cas clinique : elle consiste à valider les réponses à une question sur laquelle on s’interroge. Je suis convaincue que l’établissement de Ville-Evrard est riche de pratiques infirmières susceptibles de déboucher sur des protocoles de recherche parce que chaque service, unité d’hospitalisation, hôpital de jour, CMP a des spécificités de travail qui pourraient être partagées après validation. D’ailleurs, certains infirmiers/ères qui ont participé à la formation recherche en soins infirmiers ont des idées…Je suis toute prête à les aider à travailler leur projet pour créer une dynamique au sein de l’établissement.
Quel intérêt professionnel et personnel portez-vous à la recherche clinique ?
Faire de la recherche clinique est très valorisant. Je pratique toujours mon métier d’infirmière – je fais des injections et des bilans sanguins dans le cadre des protocoles de recherche - tout en ayant des compétences élargies et en conduisant une réflexion clinique. De ce fait, mes relations avec les médecins et les psychologues ont évolué. Mes activités sont plus diversifiées qu’avant : les protocoles sont tous différents. J’épaule mes collègues sur notre protocole de recherche pour les entretiens et questionnaires. J’interviens dans les enseignements et les formations à la recherche clinique. Depuis 1 an, je travaille aussi avec l’HAS, un groupe de psychiatres et de psychologues d’Ile-de-France et de Normandie ainsi que l’UNAFAM sur l’élaboration de recommandations pour l’accueil des familles en psychiatrie adulte. Je suis la seule infirmière du groupe.
La recherche clinique est un moyen de libérer sa créativité, de penser différemment. Mener à son terme le premier protocole de recherche en soins infirmiers de l’EPS Ville-Evrard est un défi très motivant. J’espère que nous contribuerons ainsi à mieux accompagner les familles et que par ricochet nous favoriserons un meilleur accompagnement du patient à sa sortie. J’espère aussi faire des émules au sein de l’établissement…
Contribution
CF.com
Photos
Alexandre Toffoletti
Mise à jour : 20.03.2017