Bientôt une 4è équipe mobile psychiatrie et précarité à Ville-Evrard

©P.Cusse

Comment articuler prise en charge sociale et traitement psychiatrique des populations très démunies sur un territoire où tous les indicateurs de précarité sont dans le rouge ? En créant des équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) qui vont vers les personnes en détresse et les professionnels de première ligne. Depuis 2007, l’EPS de Ville Evrard est très investi dans cette démarche engagée à l’initiative du docteur Evelyne Lechner, responsable du pôle G18. Le dispositif couvrira bientôt la totalité du périmètre d’intervention de l’établissement grâce à la création d’une 4ème équipe mobile.

Un dispositif complémentaire à l’interface des soins psychiatriques et du social

« Les EMPP apportent une réponse technique à un phénomène social vieux comme le monde » analyse la sociologue Ana Marques, chargée d’étude à l’EPS de Ville-Evrard. Les EMPP ont été institutionnalisées il y a 10 ans par la circulaire du 23 novembre 2005 en réponse à une problématique sociétale et politique : l’évaluation, l’orientation vers les structures sociales et, si besoin est, l’accompagnement vers les soins de droit commun, des personnes sans-abri qui échappent à la sectorisation psychiatrique. Il s’agit donc d’un dispositif complémentaire intersectoriel permettant un traitement psychosocial coordonné et suivi des personnes en survie dont 30% souffrent de troubles psychiatriques sévères (13% de psychotiques)..

Une réponse à la mission sectorielle de prise en charge des populations précaires

La première EMPP rattachée à l’EPS VE, la Cordée, a été créée dès 2007 à l’initiative du Dr Evelyne Lechner. Elle explique « face à une population socialement stigmatisée, vulnérable en termes de santé publique et souffrant d’une inadéquation entre prise en charge sociale et traitement psychiatrique, il paraissait urgent de mettre en œuvre un dispositif complémentaire permettant d’aller au-devant des sans domicile fixe, des sans papier, des jeunes sans ressource, des femmes en situation de précarité souvent seules avec enfants, des personnes âgées démunies et isolées…, quels que soient les lieux où leurs besoins s’exprimaient ou étaient repérés ». 

Tous les indicateurs socio-économiques de Seine-Saint-Denis disent l’importance de ces situations de précarité : 30% à 35% de moins de 20 ans ; 31% d’étrangers ; +4% de familles monoparentales et de chômage qu’en Ile-de-France ; deux fois plus de bénéficiaires de l’AAH, du RSA et de la CMUC qu’en IDF ; 1/3 des bénéficiaires de l’Aide Médicale d’Etat (AME) d’IDF… « Il est difficile pour les équipes soignantes de l’établissement, déjà très sollicitées par les demandes de patients reçus, de dégager du temps pour aller au-devant des exclus qui, dans la pratique, ne formulent pas de demande de soins et ignorent leurs droits sociaux » poursuit le Dr Lechner. La création d’équipes mobiles psychiatrie précarité constitue la solution pour évaluer, orienter et, si nécessaire, accompagner vers les soins les populations les plus démunies, en interface avec les divers acteurs de l’intervention sociale et sanitaire.

Un maillage complet du territoire pour gérer des files actives en croissance

La Cordée a, dans un premier temps, desservi les communes de Noisy le Grand et de Gournay-sur-Marne, avant d’élargir progressivement son champ d’intervention à tout le Sud-Est du département. En 2015, elle a reçu 74 signalements de cas de détresse et rencontré physiquement 56 personnes, soit 12% de plus qu’en 2014. Parmi elles : 30% de moins de 30 ans, 54% de plus de 50 ans, des femmes en majorité, souffrant de troubles de l’humeur ou de troubles névrotiques associés à d’autres symptômes et troubles du comportement liés notamment aux substances psychoactives. 

La Boussole s’est déployée dans le Sud-Centre à partir de 2010 au moment de la mise en place par le département, du Service Intégré d’Accueil et d’Orientation (SIAO) des sans-abri ou mal logés. Estim’93 a commencé ses interventions dans le Nord-Est en novembre 2013. « Estim’93 enregistre une augmentation croissante de sa file active depuis l’ouverture de nombreuses structures d’hébergement de réfugiés et de migrants, l’ARS ayant directement missionné les EMPP pour le suivi psychiatrique et psychologique de ces populations » prévient le Dr Abdelghani Boublenza, membre de l’EMPP. L’équipe a suivi 57 patients en 2016 contre 44 en 2015.

La création, en 2017, d’une 4è EMPP, Rivages, dans le Nord-Ouest du département permettra d’honorer des demandes d’intervention actuellement sans réponse tout en garantissant un maillage complet du territoire. Localisée à Aubervilliers, elle couvrira les communes de Saint-Ouen, Drancy, Le Bourget, Aubervilliers, Bobigny et Pantin. 

La PASS PSY (Permanence d’Accès aux Soins de Santé) de Ville-Evrard et la PASS Dentaire qui travaillent en lien étroit avec les EMPP, complètent bien ce dispositif.

Des équipes pluri-professionnelles légères

Les équipes mobiles rattachées à l’EPS de Ville-Evrard sont formées de 2,5 à 3,5 professionnels temps plein : un praticien hospitalier et un infirmier ou un éducateur spécialisé à temps plein, ainsi qu’un psychologue à mi-temps, parfois épaulés par un interne, un cadre de santé et/ou une assistante médico-administrative à mi-temps.

L’EMPP intervient généralement sur appel téléphonique d’un partenaire social (circonscription d’action sociale, centre d’hébergement…) dépassé par une situation complexe d’une personne en détresse. Soit elle apporte au demandeur une aide technique immédiate et un conseil sur la conduite à tenir. Soit elle propose une rencontre avec le patient sur son lieu de vie ou dans les bureaux de l’EMPP, en présence du demandeur qui restera l’interlocuteur et l’accompagnateur du patient dans la durée. Alors, elle pose ou non une indication de soins et en précise les modalités : entretiens psychiatriques de suivi temporaire, entretiens de préparation à une hospitalisation ou à un suivi en ambulatoire, orientation vers un groupe thérapeutique….

Un important travail de réseau

« Les équipes mobiles n’ont pas vocation à assurer le suivi au long cours des patients qu’elles prennent en charge à la suite de leurs interventions. Elles filtrent les demandes des structures sociales pour orienter vers les secteurs les personnes relevant de la psychiatrie et, le cas échéant, faciliter le premier contact. En cas d’intrication de problèmes somatiques et/ou psychiques et/ou d’addiction, elles proposent d’autres orientations adaptées. Elles jouent un rôle important d’interface entre les secteurs de psychiatrie, les équipes sanitaires, les équipes sociales et les associations afin d’accompagner petit à petit les patients dans des circuits de prise en charge de droit commun  » ajoute le Dr Lechner.

A ce titre, elles sont en contact avec les nombreux acteurs sanitaires et sociaux de leur territoire dont les structures sont parfois éclatées, précaires, avec un fonctionnement propre : services sociaux d’accueil, d’accompagnement et d’hébergement, structures d’hébergement médico-sociales, dispositifs hospitaliers, SAMU social, praticiens libéraux, structures d’addictologie, associations d’aide aux personnes en situation de précarité, RESAD, CLSM,… . Les EMPP les informent, les conseillent, les soutiennent et les forment dans le cadre de sessions sensibilisation. Elles participent également, avec ces divers partenaires, à des réunions de synthèse clinique sur les cas de patients et à des réunions institutionnelles. Il est important qu’elles soient repérées comme des acteurs faciles à solliciter tout en étant sollicitées à bon escient !

Des partenariats renforcés pour élargir le champ d’action et un souci d’évaluation

Le renforcement des liens avec leurs partenaires du territoire est un objectif constant des EMPP. « Pour la 1ère fois, en 2016, la Cordée a formalisé plus finement ses articulations avec deux structures sociales et médico-sociales par le biais de conventions. La première, signée avec le Centre Municipal de Santé de Neuilly Plaisance, l’engage à réaliser des consultations auprès des personnes précaires signalées par des professionnels de la santé, des travailleurs sociaux ou associatifs, tous les 1ers lundis du mois de 14h à 16h. La seconde l’engage à intervenir tous les jours ouvrables sur sollicitation des soignants de la structure les Lits Halte Soins Santé de l’Association Aurore de Gagny, auprès de patients en souffrance psychique » annonce le Dr Lechner.

Une évaluation de l’activité

Parallèlement, les EMPP sont soucieuses d’affiner l’évaluation de leur activité afin de garantir la transparence de leurs pratiques. Elles ont toutes construit un recueil de données et élaboré un rapport d’activité commun. En outre, La Cordée a décidé d’envoyer un questionnaire de satisfaction à l’ensemble de ses partenaires afin d’analyser les dysfonctionnements éventuels et de mieux répondre aux attentes de ses partenaires. La future EMPP Rivages a déjà défini les indicateurs de mesure de son volume d’activité. Comme les données fournies par le RIM-p (Recueil d’Information Médical en Psychiatrie) ne prennent pas en compte les actes effectués sur la voie publique, elle a également mis au point, en s’inspirant du travail d’Ana Marques, une « fiche d’intervention de l’EMPP » pour l’activité maraude. En attendant ce bilan, les défis sont posés « il nous apparaît de plus en plus nécessaire de renforcer nos efforts de formation continue, notamment en matière d’approche transculturelle, mais aussi de prise en charge spécifique des grands exclus » conclut le rapport d’activité 2015 de la Cordée.

[1]  Ana Marques, « Des équipes mobiles de psychiatrie-précarité. Une forme d'articulation entre les champs social et psychiatrique », Le sociographe 2013/2 (n° 42), p. 67-77. 
Ana Marques est l’auteur de nombreux autres travaux sur les EMPP : 
Thèse Marques A., « Construire sa légitimité au quotidien : le travail micropolitique autour d’une Equipe Mobile de Psychiatrie-Précarité », thèse en sociologie, EHESS, 2010.
Articles : Marques A., « Est-il légitime de ne pas décider pour autrui ? Le travail politique autour d’une Equipe Mobile de Psychiatrie-Précarité », Sciences Sociales et Santé, n°3, 2015, p.91-114.
Marques A., Velpry L., « L’hospitalisation psychiatrique des personnes en situation de grande précarité », L’Information Psychiatrique, vol 89, 2013, p.465-472.
Molto Santonja, J., Marques, A.C.R., « La psychiatrie aux prises avec la souffrance sociale. Vers une nouvelle sémiologie ? », L’Information Psychiatrique, vol 87, 2011, p. 75-82.
Malfitano, A. P. S., Marques, A. C. R., « L’entretien comme méthode de recherche avec les personnes sans abri : questions de terrain », Revista de Antropologia Social dos Alunos do PPGAS – UFSCar, v.1, n°2, 2009, p.45-63.
Chapitre de livre : Marques, A., « Esquirol : Le Réseau Souffrances et Précarité ». In : Cefai, D ; Gardella, E. L’urgence sociale en action. Ethnographie du Samusocial de Paris, Paris, La Découverte, 2011.

Contributions
CFcom
Illustration
Philippe Cusse

Création : 07.02.2017
Mise à jour : 21.03.2017

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